Le trou de ver
« Chaque porte est une perle », Apocalypse de Jean.
Une famille syrienne a quitté sa maison détruite sous les bombardements. Le père n’a emporté qu’une seule chose, qu’un seul bien, la porte. De camp de réfugiés en camp de réfugiés, il va avec sa porte. Un jour, si Dieu le veut, il pourra construire une maison autour de sa porte.
La porte est ce qui reste quand on a tout oublié.
Porter, emporter. Etre mis à la porte.
« Voici, j’ai mis devant toi une porte ouverte que personne ne peut fermer », Apocalypse.
Dans le rêve, je revois, à Venise, l’église isolée, dans le ghetto, où se trouvait La Vierge de l’orto. Orto : le jardin, le verger… L’église est fermée pour travaux. Je frappe à la porte, un maçon vient m’ouvrir.
L’enfant à la porte des parents de son amie, le cœur battant.
J’aime la peinture écaillée des portes.
Cette porte devient un poisson arc-en-ciel qui nage, vertical, vers l’angle droit du cadre. L’immeuble est sa nasse.
Las architectes contemporains ne soignent pas suffisamment les portes.
Rodin, La Porte de l’Enfer : celle-là est évidemment fermée. Celle-là est forcée.
« Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée », pauvre Musset !
Certains tableaux du peintre Barnett Newman peuvent être vus comme des portes dont le « zip » dit l’ouverture interne. Day one est une perle.
Les morts passent par la porte-de-secours.
« Après quoi j’ai vu, et voici une porte ouverte dans le ciel », Apocalypse.
Les pensées les plus profondes, les plus légères : celles qui enfoncent une porte ouverte.
Le paradis toujours. Toujours il nous faudra un nom qui soit en dessous de la réalité (Heidegger a eu raison de ne point le compter parmi les concepts fondamentaux de la métaphysique, ou le penseur n’a-t-il, qui sait, jamais éprouvé la tonalité de paradis).
Un nom pour dire dans quoi on entre, par un déclic…un autre air, une autre lumière, une autre sensation, le corps avec la pensée,…ouvert et clos.
Le règne, le royaume. En anglais realm. La petite clef dorée est dans ma poche. Je la donne sur la page : royaume rime avec alpha et oméga.
Vous franchissez une porte sans portes. C’est LE TEMPS. Vous ne donnez plus les perles qui décevaient les cochons.
Les villageois aux jours d’été s’asseyaient devant leur porte. On parlait de porte en porte, jusque tard dans la nuit, dans le noir, parmi les étoiles.
De fait, en ce qui touche au temps et à l’espace, vous passez par un trou de ver. L’espace-temps est courbe, si vous entrez par un trou noir, vous suivez le trajet du trou de ver, vous sortez par le trou blanc, vous êtes allé plus vite que la lumière.
Claude Minière
photo ©florence trocmé, maison de Goethe à Weimar