Par Philippe Mac Leod, écrivain. Il a publié plusieurs livres et recueils de poésie, dont Variations sur le silence, chez Ad Solem, et l'Évangile de la rencontre. Jésus et la Samaritaine, chez Artège.
Des mains du célébrant, au-dessus de nos fronts l'hostie s'élève comme un visage indescriptible, trop loin pour en discerner les traits, un astre blanc surgissant d'un horizon invisible, un corps tellement agrandi que se sont perdus les membres et la silhouette, une chair devenue très mince et presque transparente, à travers laquelle il n'y a plus désormais que la présence à chercher.
Jésus ne disparaît qu'à nos enlacements. Et pour mieux se glisser entre nos attentes, pour vivre en nous et nous transformer en lui. Sans la terre que je lui offre en m'approchant, où elle pourra disparaître, l'hostie n'est rien encore, elle demeure seule. Il lui faut mourir à nouveau pour me féconder, disparaître dans une explosion silencieuse et me pénétrer comme un nuage de clarté qui voudrait dissoudre les dernières ténèbres.
À travers elle, le Christ nous invite à un dépouillement, en dissociant d'abord sa réalité terrestre de toute forme humaine, de l'individualité trop restrictive, pour une sorte de visibilité translucide, puis en disparaissant une seconde fois dans notre propre corps, en descendant au fond de nous pour nous y entraîner à sa suite.
Il me semble entendre le Ressuscité nous renvoyer à ce qu'il exigeait de ses disciples, comme de Marie-Madeleine noyée dans les larmes d'un jardin désert :
« Ne me cherchez plus au bout de vos doigts, renoncez à mes contours. Je vous attends dorénavant un peu plus loin, chaque fois plus loin à mesure que vous progresserez vers moi. C'est un nouveau pas dans ma connaissance que je voudrais vous voir franchir par cette présence nouvelle, omniprésente et intérieure à vous-mêmes. »
L'eucharistie nous engage à devenir à notre tour ce signe visible d'une réalité invisible qui nous dépasse mais nous traverse de part en part. L'eucharistie inverse radicalement notre relation à Dieu : désormais nous en avons la charge, nous le recevons. Il n'est plus extérieur à nous-mêmes, comme un sujet bien distinct, dans un échange ordonné : nous l'incarnons, nous lui donnons corps, visage et parole. L'idole n'est réellement détruite qu'à ce stade-là.
Chaque fois que je communie, c'est aussi pour que tous les hommes que je rencontrerai puissent communier à la présence qui m'aura transformé au contact de ce mystère qui les attend encore au fond d'eux-mêmes. Dans le repas eucharistique, il est essentiel de souligner cette assimilation spirituelle de tout notre être au Christ universel. Le prêtre nous le dit tout en élevant l'hostie avant de la déposer au creux de nos mains :
« Le corps du Christ. » Ce n'est donc pas Jésus qui est enfermé là : c'est son corps, ce corps qui nous demande le nôtre. Sa mémoire vivante qui nous demande notre présent.
Une retraitante insomniaque, désemparée en trouvant dans l'oratoire la veilleuse du Saint-Sacrement éteinte, n'a pas pu, n'a pas su prier, sans comprendre de l'intérieur qu'elle-même se devait d'être, par sa prière, par sa présence, cette petite flamme dans le silence de la nuit.
Il manque à beaucoup de personnes, pourtant animées d'une réelle soif de spiritualité, ce bon sens du coeur, dans la liberté joyeuse de l'Esprit. À la présence réelle, il n'est sans doute pas de meilleure réponse que la réalité de notre propre présence.