La peinture qui, depuis ses premiers écrits, intéresse Sollers est inséparable d’une poétique et d’une érotique. Elle est, avant tout, une lecture et un hommage à la voix de la lumière et du corps, à son entrelacs de visions et de mouvements. Le charnel agit par vibrations et par rayonnements et c’est bien entendu le catholicisme celui, notamment, de la Contre-Réforme – qui a su prendre très au sérieux le défi de l’incarnation.
Que dans la tradition catholique le Verbe se fasse chair reste sans doute un mystère auquel seule la peinture dite figurative n’aura eu de cesse de s’affronter, écrit Olivier Rachet. La peinture s’envisage alors comme paradis perdu de la jouissance. Et s’il existe une légende tenace qui nous dit que Sollers serait dans une jouissance narcissique, l’essai médité de Rachet prouve l’inverse : Sollers a toujours été porté par-delà lui-même, ouvert à lui au-delà de lui-même. L’expérience sensible du temps (qui est l’essence même du poétique) ne peut que rencontrer la Bibliothèque, la musique, la peinture ; ces espaces infinis où l’on respire enfin. Tous les écrits – les partis-pris - de Sollers, ses goûts, engagent une poéticité qui contredit les maladies du ressentiment, les images lisses du monde ou encore la gratuité esthétisante.
Une contre-histoire de l’art peut alors s’écrire, et elle s’écrit par Sollers, en effet, à travers la vision des œuvres de Giorgione, Titien, Tintoret, Poussin, Watteau, Fragonard, Manet, Picasso, de Kooning… autant de singularités en pleine démesure, autant de jouisseurs de formes qui se sont dégagés des voix encombrées et puritaines, des négativités qui font société et du bric-à-brac de la postmodernité. Loin du vertige iconoclaste (qui conçoit l’art comme absence radicale, libéré des pièges de la représentation) Sollers est passé maître dans l’art de faire parler la peinture : Sollers n’écrit pas sur la peinture. Il peint en écrivant, il écrit en peinture. Il tourne autour des couleurs, esquisse des traits qui partent de tous les points de convergence et de divergence, s’offrant au regard soucieux de l’instant.
La puissance épiphanique de la peinture a une multitude de noms qui laisse chanter la matière, l’élève en torsade. Que serait l’art s’il se soumettait au temps et au rire lugubre des damnés ? C’est l’histoire monumentale des œuvres, vivantes et verticales, violemment anti-linéaires, qu’il s’agit de dévoiler pour atteindre et pour jouir d’un temps historial, retrouvé et retourné, dilaté et concentré.
Il y a eu, en 1983, la publication de La peinture et le mal par Jacques Henric. Il y a aujourd’hui cet essai tout aussi déterminant et central d’Olivier Rachet qui prouve que l’on peut encore entendre la vérité du temps tel qu’il est traversé par ceux qui le dévoilent et entrent dans une gravitation légère, abondance, glorieuse.
Pascal Boulanger
Olivier Rachet, Sollers en peinture, une contre-histoire de l’art, Tinbad, 2019, 224 p., 21€