La fascination de l'Être

Publié le 14 mars 2019 par Anargala
Ramana et le chien éveillé Jackie


Se délivrer de la fascination pour les choses

semble difficile, voire surhumain.
Pourtant, nous sommes animés par un désir de l'Être.
Tout désir est désir de Dieu.
Une vague s'élève de l'océan : où retourne t-elle, si ce n'est en la masse océane ?
L'âme, l'ego, le mental, peut se laisser séduire par le divin.
Ramana en parle. Dans un Entretien, il admet que la "plongée en soi" (âtma-vicâra, mârgana) peut être comparée à une forme d'hypnose :

Question : un enchaînement de pensées ou de questions [du genre "Qui suis-je ?"] peut-elle induire une auto-hypnose ? Ne faut-il pas la réduire en un seul point qui analyse ce qui ne peut l'être, le "je" insaisissable, vaguement perçu et fondamental ? [question mal formulée ou traduite, mais c'est la réponse de Ramana qui est intéressante]


Ramana : - Oui. C'est vraiment comme regarder dans le vide [vacancy] ou dans un cristal étincelant ou une lumière.

(Talks, éd 1996, p. 27)

Il précise plus loin que cette hypnose est plutôt de l'ordre du ressenti (feeling) que du discours intérieur. Dans son propre récit d'éveil, il dit d'ailleurs que sa "plongée dans le Soi" s'est passée presque sans aucun discours intérieur, c'est une plongée intuitive ou presque. 

Ainsi, la fameuse question "Qui suis-je ?" n'est pas une question qui invite à un développement raisonné, mais un doigt qui pointe vers la lune du Soi. Si je suis agité, qui est agité ? Si je suis distrait, qui est distrait ? Si "je n'y arrive pas", qui n'y arrive pas ? Et ainsi de suite. Il est vrai que, parfois, Ramana se lançait dans des développement en réponse à "Qui suis-je ?", comme du reste il le fit dans son oeuvre intitulée justement Qui suis-je ? Une partie de ces développement sont empruntés au vocabulaire de l'Advaita Vedânta, une voie d'éveil par l'intellect. 

Mais en réalité, il me parait clair que, quand on considère l'ensemble de son enseignement, Ramana ne propose pas une démarche védântique, une progression raisonnée vers le Soi en suivant la méthode du Vedânta, mais il conseil plutôt une "plongée" directe, intuitive, dans la sensation d'être, dans le ressenti "je suis je", comme il dit, jusqu'à parfaite stabilisation. C'est une voie de méditation, de destruction progressive du mental, c'est-à-dire des "habitudes" (vâsanâ), du moins celles qui sont extraverties et qui distraient le Soi de lui-même, qui font glisser du "je suis je" au "je suis ceci, cela". 

Ramana employait volontiers le mot sanskrit mârgana pour désigner cette plongée intuitive vers le centre de soi. Le terme vicâra est plus connu, mais je suis à peu près certain qu'il est plus étranger à ce que Ramana voulait dire. Il l'a emprunté à Swâmî Nishcâldâs, auteur d'un best-selles védântique au XIXe siècle, qui a été l'un des source d’inspiration principale du "jeune" Ramana. Mârgana désigne une recherche, une investigation, mais aussi une requête, l'acte de mendier, de supplier, de solliciter. Le "Qui suis-je ?" est donc une résorption de l'ego dans le Soi, du faux Moi dans le vrai Moi. On est très loin du Vedânta, mais très proche de l'oraison chrétienne "de silence et de repos". Même vicâra ne signifie pas seulement "réflexion rationnel" ou "examen systématique", mais aussi "observation", renvoyant ainsi à quelque chose de moins discursif et de plus intuitif. Du reste, le maître cachemirien Abhinava Goupta l'emploie parfois dans ce sens d'observation directe, intuitive. Le "Qui suis-je ?" est donc un acte de retournement de l'attention, ou disons de reflux de toutes les énergies du corps et de l'esprit, vers leur Source commune. A mon avis, cette Source est ce que j'appelle la vibration du cœur ou le ressenti viscéral.


Pratiquer le "Qui suis-je ?", c'est donc s'ouvrir au désir le plus profond qui nous anime : le désir de l'Être, celui qui a poussé le jeune Ramana à plonger en lui-même un jour de 1895, puis à quitter sa famille pour rejoindre "son Père". 

Je mets en ce moment la dernière main à une traduction commentée des œuvres sanskrites de Ramana. C'est une délectation de pouvoir "plonger" au plus près de sa pensée, souvent déformée, tronquée ou comprise de travers, alors qu'elle est claire et précise.

Ramana et la vache éveillée Lakshmî