Mac Macron, incarnation des inégalités.
Campagne. Ce soir-là, des nuages oscillant entre le pourpre et l’écarlate affectaient des formes déchiquetées, étranges, en direction du couchant, quand, au coin d’une rue, trois gilets jaunes rentrant de manif échangèrent quelques mots furtivement volés. Le premier déclara: «Il aura beau faire et dire ce qu’il voudra, il est coupé de nos réalités.» Le deuxième: «Il pense avoir repris la main de manière magistrale, mais sa tentative est plus médiatique que populaire.» Et le troisième: «Il se donne en spectacle, sauf qu’il n’arrivera jamais à dépasser son image de président des riches, d’incarnation des inégalités…» «Il», vous l’avez reconnu: Mac Macron. Le fameux énarco-technicien répondant à tout-ce-que-vous-souhaitez. Pour lui – comme pour beaucoup –, la politique est une drogue dure. Mais pas n’importe laquelle, donc. Depuis des semaines, pour tenter de sortir de la crise où l’avaient plongé les gilets jaunes, le prince-président s’est bel et bien lancé dans une campagne de reconquête, pour ne pas dire de survie, avec le grand débat national dont il a pris toute la place. La posture jupitérienne absolutiste n’aura échappé à personne. C’est donc cela, un chef de l’état? Le bloc-noteur, comme déjà écrit ici même, ne niera jamais la teneur des performances de l’homme-orchestre, sa maîtrise des dossiers comme leur amplitude en des temps record, sans parler de son incroyable faculté à avoir réponse à tout, mais vraiment à tout. Ce savoir-faire, qui ressemble au syndrome Questions pour un champion ou Qui veut gagner des millions, interroge non la prouesse supposée mais bien ce qu’il en reste, déjà… Si convaincre des assemblées rétives relève d’une vaillance dont il ne semble plus se lasser, admettons que ce n’est pas pour rien qu’il tient à poursuivre sa tournée promise dans toutes régions jusqu’au début du mois d’avril. En tête? Les élections européennes, et au-delà bien sûr. Comme si l’idée de «campagne permanente» était désormais son nouveau mode de gouvernement, lui qui jugeait «délétère», en janvier dernier, ce qu’il appelait la «société du commentaire permanent». La ficelle est grosse. Avec le «débat permanent», par lui et pour lui, il prétend relier tout, par la simple verticalité de son aplomb, sachant que ce qu’il nous raconte n’est que «technique», quand les Français voudraient qu’il parle «politique». Rappelons-le: la politique relie à tout, l’économie en sa technique à rien, ou presque rien. À commencer par l’essentiel, que l’un de nos gilets jaunes mentionnait: Mac Macron demeure «l’incarnation des inégalités».
Ordre établi. Et justement, répond-il à ces inégalités? Jamais. Alors que nous observons depuis plus d’une décennie une croissance des inégalités sociales, en particulier une envolée des hyper-riches qui pose des problèmes de maîtrise économique et fiscale essentiels, ne nous cachons pas la vérité, l’expérience des inégalités en question a profondément changé de nature, comme l’explique le sociologue François Dubet: «Tant que nous vivions dans une société industrielle relativement intégrée, les inégalités semblaient structurées par les classes sociales. Celles-ci offraient une représentation stable des inégalités, elles forgeaient les identités collectives et elles aspiraient à une réduction des écarts entre les classes – c’est ce qu’on appelait le progrès social. Avec les mutations du capitalisme, les inégalités se transforment et se multiplient: chacun de nous est traversé par plusieurs inégalités qui ne se recouvrent pas forcément. Nous sommes inégaux “en tant que” salariés ou précaires, diplômés ou non, femmes ou hommes, vivant en ville ou ailleurs, seul ou en famille, en fonction de nos origines…» Et François Dubet ajoute: «Alors que les plus riches et les plus pauvres concentrent et agrègent toutes les inégalités, la plupart des individus articulent des inégalités plus ou moins cohérentes et convergentes.» Le responsable porte un nom: l’ordre établi, ce bras armé du système capitaliste qui pousse, de plus en plus, les êtres humains à se retourner les uns contre les autres, sous le regard méprisant des puissants ou de leurs valets. Comme disait Pierre Dac: «L’ordre établi ne l’est souvent que par rapport aux ordres donnés par ceux qui ont ordonné de l’établir.» Suivez notre regard…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 mars 2019...]