Fête du Court-Métrage, jour 2 : le documentaire.
Bonjour Billy et bienvenue au 7ème Café ! Du 13 au 19 mars, la France organise la Fête du Court-Métrage, un évènement national à la portée internationale qui a pour but de faire découvrir ou redécouvrir le format court. Plus de 190 films, 4000 lieux et 35 villes partenaires, des animations, des projections, des débats… Pour tout savoir et connaître ce qui se passe près de chez toi, je t’invite à aller visiter le site officiel : https://www.lafeteducourt.com/. Pour nous, ça va être l’occasion de faire un petit tour chez les moins de 30 minutes : 7 jours, 7 courts, 7 genres et styles différents. On s’intéresse aujourd’hui à 89 mm d’écart, un film qui, contrairement à Fauve, fait partie de la programmation officielle de la Fête, mais qui, comme lui en revanche, a été nommé à l’Oscar du Meilleur Court-Métrage – dans la catégorie Documentaire, cette fois.
La clé d’un bon documentaire, c’est un bon sujet. Et avec ce film remontant à la première moitié de la décennie 1990, le réalisateur polonais Marcel Łoziński a sans aucun doute trouvé une perle. Imagine Billy : nous sommes en 1993, moins de deux ans après la dissolution de l’URSS, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, dans la gare de Brest – rien à voir avec la cité bretonne homonyme, évidemment. Là, à chaque train qui passe de l’Europe à l’ex-Union Soviétique, ou inversement, c’est le même ballet qui recommence ; les ouvriers s’affairent sous les wagons armés de leurs outils. Mais pourquoi ? La raison de ce chahut, c’est 8,9 centimètres de différence, ou plutôt 89 mm d’écart entre l’espacement des rails européens (1,435 m) et celui des rails soviétiques (1,524 m), qui force les travailleurs biélorusses à modifier chaque wagon qui passe par là pour l’adapter aux rails de l’autre côté.
L’Histoire fourmille de petits détails, et c’est précisément sur ces détails que se penche la caméra de Łoziński. Il utilise le principe du cinéma direct, c’est à dire que la caméra joue un rôle d’observateur externe, qui n’interagit pas avec l’environnement, et laisse le sujet se raconter de lui-même, sans narration. On a donc l’impression de prendre part à une balade sur les quais, jetant un œil tantôt à un chat boitant, tantôt aux passagers du trains, tantôt aux ouvriers qui travaillent à la sueur de leur front en dessous. Les bruits alentours complètent ce tableau pittoresque, entre les claquements de métal, les grincements des machines, et les cris aigus des rails martyrisés par les roues de la locomotive qui freine.
89 millimètres, c’est vraiment pas grand chose, tu peux mesurer cette distance rien qu’entre ton pouce et ton index. Pourtant, c’est tout ce qui sépare deux mondes. D’un côté l’Europe qui se reconstruit et prospère depuis 50 ans, de l’autre les restes d’une URSS qui sort à peine de son effondrement. C’est la frontière entre l’Ouest et l’Est, mais c’est aussi la frontière entre les passagers des wagons qui observent les ouvriers derrière leurs vitres, et les ouvriers qui observent les passagers depuis le sol. Tandis que les travailleurs s’agitent dans les méandres mécaniques, les riches voyageurs français discutent de leur prochaine promenade sur les bords du lac, alors qu’une touriste allemande trouve les mécaniciens « amusants ». Les deux côtés semblent se contempler les uns les autres comme les animaux d’un zoo, séparés par les glaces du train, les bourgeois s’amusant de regarder la plèbe fourmiller sous leurs pieds, et les ouvriers dévisageant ces voyageurs qui poussent l’outrance jusqu’à porter des boucles d’oreilles en forme de $.
Pourtant, cette frontière invisible de moins de 10 centimètres n’est pas infranchissable. Un jeune garçon polonais, passager du train, est la seule personne qui osera s’aventurer dans l’autre monde, et s’intéresser à un ouvrier biélorusse qui s’est fait une coupure au doigt en travaillant dur. Ce garçonnet représente l’espoir, l’espoir qu’un jour soient abolis ces 89 millimètres d’écart, et qu’il suffisse d’un pas, d’un seul, pour franchir la frontière. C’est la jeunesse qui réunira les deux mondes ensemble vers l’avenir.
Le train repart. Un autre arrive. Et le cycle continue sa ronde éternelle.
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Tchou tchou !— Arthur