Il n'aime pas trop que l'on mette en avant ses talents d'auteur ; pourtant Jean-Louis Murat possède à son actif des titres comme "Amour n'est pas querelle", "A caution tous amants sont sujets" ou "Tant la vie demande à mourir", ce qui vous pose un homme.
Sa prose se prête notamment aux tournures poétiques, aux allitérations telle "La momie mentalement", étonnante chanson que l'on retrouve sur Vénus. Et Murat est devenu un peu malgré lui le mentor, le grand frère de tout un pan de la chanson française des années 90, dont les dignes représentants ont pour nom Dominique A ou Christophe Miossec.
Néanmoins et sans verser dans des audaces ni une recherche forcenée, le preux Auvergnat demeure de tous les représentants de la chanson d'ici celui dont les compositions sont à prendre au sérieux là où chez certains de ses confrères le verbe phagocyte un peu tout le reste.
Trajectoire atypique du faux-bougon, (car il ne trompe personne) musicien à l'oeuvre déjà conséquente, Murat, passé les effets de mode et les partis pris médiatiques de son début de carrière où ses ventes ont pu un instant décoller, n'est finalement pas prophète en son pays, et de manière symptomatique à la façon d'un Burgalat ou d'un Mocky dans le 7ème art sort bon an mal an des oeuvres confidentielles, tout juste relayées par les médias attentifs. Tout en continuant de drainer un public de convertis et d'adeptes qui ne se dément pas ; nombre de sites lui sont ainsi amoureusement dédiés.
En 1993 et même si son nom compte encore dans l'industrie musicale - il a atteint son apogée commerciale avec Cheyenne Autumn (1989) et Le Manteau De Pluie (1991) - et qu'il ne va pas tarder à décrocher le gros lot critique avec des albums comme Dolorès (1996) et son oeuvre potentiellement la plus aboutie qu'est Mustango (1999), les choses bougent et se corsent avec Vénus où il se montre davantage désabusé.
Il attaque bille en tête avec "Tout est dit" où débarrassé des claviers qu'il n'aime pas et qui plombaient certains de ses disques antérieurs, sa musique à visée naturaliste et amoureuse respire. "Comme au cinéma", c'est la rencontre avec Etienne Daho et les Jesus And Mary Chain.
Trois pièces de choix qui culminent à 7 minutes chacune servent de clé de voûte : il y a d'abord la chevauchée dylanesque "La fin du parcours", où Murat déjà quadragénaire fait un bilan sans concession de son existence. Puis la troublante et majestueuse "Montagne", ses nappes synthétiques qui règle déjà des comptes avec le show business. Puis bien sûr "La momie mentalement", qui sur une mélodie espagnole est servie par un entêtant motif de clarinette basse, instrument assez peu utilisé dans la pop. Là le texte est prétexte à travail de sonorités qui donne le vertige.
Ce qui rend Vénus touchant et donc précieux, ce sont ses imperfections, ses maladresses. La voix parfois mal assurée car encore criarde dans les aiguës, Murat se livre comme rarement dans sa carrière - Dolorès sera l'acmé qui lui succèdera ; tandis qu'avec Mustango, il atteindra en mode franc-tireur le chef d'oeuvre formel de sa discographie.
Mais cette Vénus la mal-aimée, c'était quand même le début d'un cycle organique et non des moindres du plus essentiel de nos auteurs-compositeurs contemporains.
En bref : rarement cité au profit de Dolorès et Mustang qui lui succèdent, Vénus est pourtant le premier tournant et la première vraie réussite de l'oeuvre Pantagruélique de Murat. Où pour la première fois, sa poésie pastorale se fait organique. Superbe.