Quatrième de Couverture
Louis a 12 ans. Ce matin, alors qu’il veut confier à sa mère, Thelma, qu’il est amoureux pour la première fois, il voit bien qu’elle pense à autre chose, à son travail sûrement. Alors il part, fâché et déçu, avec son skate, et traverse la rue à fond. Un camion le percute de plein fouet.
Le pronostic est sombre. Dans quatre semaines, s’il n’y a pas d’amélioration, il faudra débrancher le respirateur de Louis. En rentrant de l’hôpital, désespérée, Thelma trouve un carnet sous le matelas de son fils. À l’intérieur, il a dressé la liste de toutes ses « merveilles », c’est-à-dire les expériences qu’il aimerait vivre au cours de sa vie.
Thelma prend une décision : page après page, ces merveilles, elle va les accomplir à sa place. Si Louis entend ses aventures, il verra combien la vie est belle.
Mais il n’est pas si facile de vivre les rêves d’un ado, quand on a presque quarante ans…
Mon avis
La chambre des merveilles n’est pas un roman que j’ai lu pour son scénario mais parce que j’avais l’impression qu’il s’agissait d’un livre feel-good (oui, malgré son thème), via les avis que j’avais lus sur la blogosphère. Je ne cherchais pas à plonger dans les méandres médicaux du coma, ou dans la lutte des proches d’une personne dans le coma… J’attendais ce que semblait promettre la quatrième de couverture : une façon de réapprendre le sens de la vie et la vraie valeur des choses. J’y ai trouvé autre chose, qui s’en rapproche mais en bien plus fort et perturbant à la fois.
L’histoire n’est pas des plus percutantes, elle n’a rien d’extraordinaire, ou d’unique. Certaines ficelles sont assez grosses, certains événements un peu trop faciles… Mais ce n’est pas un problème. D’ailleurs, au départ, je m’attendais à tout ça et n’ai donc pas été gênée un seul instant par tout ça, moi qui lève les yeux au ciel dès qu’une ficelle vue, revue et usée est tirée pour la trouzmillième fois. Il y a la mère trop préoccupée par sa carrière pour profiter de la vie, la grand-mère déjantée, le prince charmant qui débarque et est lié à une sorte de marraine la bonne fée… Tout est là pour satisfaire les fans du genre. L’écriture se veut fluide, facile d’accès, dans l’air du temps, des réseaux sociaux, de la culture pop aussi, tout ce qui plait aujourd’hui et qui marche bien. On a donc la recette pour un énième livre du genre, qui attire l’œil par sa couverture colorée et sa présence constante sur les réseaux sociaux de la littérature.
Et puis il y a Thelma. Et toutes les questions qu’elle se pose, et toutes les étapes par lesquelles elle passe. Et les phases de sa vie qui l’ont construite. Et ses regrets. Et ses réussites. Et ses ratés. Thelma, a été mon fil rouge durant toute cette lecture. Normal pour l’héroïne principale d’un bouquin, mais c’est surtout ce qu’elle est, ce qu’elle pensait être et ce qu’elle souhaite atteindre qui ont résonné en moi. Beaucoup des états d’âme de Thelma reflètent mes craintes, mes doutes. Pas mal de traits de son caractère me sont familiers, et beaucoup de ses réactions auraient pu être les miennes. Je suppose qu’on s’identifie tous un peu à Thelma, parce qu’elle est finalement assez multiple, mais ce n’est pas le personnage en lui-même qui m’a heurté de plein fouet, c’est tous les questionnements qu’il permet de soulever, que cette femme permet de toucher du doigt.
De la peur de vivre à celle de s’écraser, de l’aptitude à encaisser, encore et encore et de se relever parce qu’il le faut… Et se demander « mais pourquoi le faut-il ? » De la façon de laisser la tempête passer quand le vent souffle bien trop fort pour en ressortir indemne en cas de confrontation… De cette envie irrésistible à un moment donné de se laisser aspirer par le vide, le néant, pour juste toucher du doigt le calme, enfin… Et découvrir par des éclats de rire que la beauté de la vie ne tient finalement qu’à ce qu’on partage avec les autres sans condition, à des souvenirs forts, à des prises de risque pour sortir de sa zone de confort (et pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour ça). Se laisser bousculer volontairement par la vie, avec le sourire, et pas juste être remué quand on souhaite rester immobile quelques temps.
Oublier les gens qui comptent au profit de futilités qui nous paraissent importantes pour de mauvaises raisons, se dire qu’on profitera plus tard, après tel rapport à finir, après tel investissement de temps dans quelque chose qui ne nous apporte rien. Oublier qui on est vraiment pour se fondre dans un moule qui ne nous correspond pas, qui nous étouffe jusqu’à faire taire ce qui fait de nous quelqu’un d’unique. Oublier jusqu’à ce qui nous fait vibrer en reléguant nos passions en arrière plan…
Et Thelma m’a bouleversée. Pas par ce qu’elle est mais par ce qu’elle représente, par ce qu’elle apprend, découvre et entreprend. Cette rencontre avec cette femme de fiction m’a filé le cafard parce qu’elle m’a rappelé toutes ces interrogations que je tente de faire taire, de laisser de côté aussi longtemps que possible. Cette rencontre m’a émue parce que je me suis vue dans ses pensées. Cette rencontre m’a aussi secouée parce que mes listes de choses à faire, vivre, découvrir prennent juste la poussière dans de vieux carnets dont j’ai très vite tourné les pages. Cette rencontre m’a tout de même redonné espoir parce qu’il n’est jamais trop tard pour vivre mais aussi parce que rien ne presse : si je rate une occasion unique, je peux m’en créer dix autres différentes et sûrement tout aussi excitantes.
Et c’est aussi ça le message de La chambre des merveilles à mes yeux, un roman qui permet de ne pas culpabiliser de prendre son temps, un roman où on peut attendre que quelqu’un nous montre d’abord la marche à suivre, nous tende la main et nous entraine dans ses aventures avant de nous pousser à vivre les nôtres. Je ne pense pas que ce soit un roman qui touche tout le monde, je sais qu’il a eu son succès mais qu’il a aussi laissé de marbre pas mal de lecteurs. Moi, c’est Thelma qui m’a eue, qui m’a conquise. Elle n’est pas un personnage qui va me marquer mais c’est bien les émotions transmises que je n’oublierai pas. Pas tout de suite, pas trop vite.
« Mourir semblait si facile, au fond. Pourquoi ressent-on au plus profond de soi le besoin de vivre coûte que coûte, pourquoi ce putain d’instinct, cette injonction à ne pas lâcher est-elle si présente ? Il aurait été plus simple de lâcher. J’aurais pu me pencher si fort que j’en aurais basculé, je me serais enfoncée dans l’eau de ce canal boueux, personne ne m’aurait vue si je m’y étais prise correctement. Mais je ne lâcherais pas, je le savais. J’étais au purgatoire, condamnée à vivre. »
« Je me rends compte désormais avec une lucidité tragique à quel point j'ai toujours été la reine de l'esquive. Lorsqu'une situation devient délicate, j'ai naturellement tendance à fuir. C'est ma réaction spontanée. Ma manière de me protéger des bourrasques, des typhons, des cyclones. Plus le vent est fort, plus le repli devient nécessaire. J'ai besoin de me construire un abri temporaire, de laisser passer les rafales, les digérer, me préparer à les affronter. Je n'arrive pas à sortir en mer par gros temps. L'amplitude de la houle doit descendre d'un cran. J'ai toujours eu une peur panique de laisser les autres lire mes sentiments, surtout lorsque je ne les maîtrise plus. Alors j'esquive. »