Conscience pure - avec ou sans conscience de soi ?

Publié le 08 mars 2019 par Anargala


Que signifie "conscience" ?

Ce mot est au cœur des traditions non-dualistes, et même de toutes les traditions. Car la vie intérieure commence par un "éveil", une conversion qui est un retournement de l'attention vers l'intérieur. Et que voit la conscience retourner vers elle-même ? Elle se voit elle-même, nue, dépouillée de tout contenu. Vierge. Pure.

A partie de là, il y a divergence des points de vue.

Selon certains, la conscience est une illusion. Mais comme de fait c'est la conscience qui l'affirme, cette hypothèse se réfute elle-même. C'est comme dire "je n'existe pas".

Selon d'autres, la conscience existe, mais seulement la conscience "pure". La conscience pure, c'est la conscience en tant que Lumière qui illumine et manifeste les choses, moins le pouvoir de faire retour sur soi. Toute réflexion est illusion à dépasser. Aucune conscience de soi, finalement, ne doit survivre à l'Eveil authentique. La conscience pure n'a donc pas conscience d'elle-même. Elle éclaire et va se refléter sur les objets (tout comme la lumière physique se reflète sur les objets physiques), mais elle ne s'illumine pas elle-même. Tout retour sur soi, en effet, implique une dualité. La conscience de soi est le germe de la séparation, du désir, du manque, du mental, de la séparation, donc de la souffrance. Cette conscience pure est donc très proche de l'inconscience pure. Son état virginal, c'est le sommeil profond, où le monde et l'ego disparaissent. La conscience pure, sans aucun retour sur soi, est bonheur. La conscience de soi est souffrance et angoisse. Mais c'est une lumière invisible, sauf dans la mesure où elle se reflète très partiellement sur les choses. Voilà pourquoi dans le sommeil profond - où tous les objets ont disparus - la conscience se confond avec l'inconscience. Comme disent certains maîtres du Vedânta (Shankara et Soureshvara), c'est comme une lumière qui n'a aucun objet à éclairer : on n'y voit rien. Logique. C'est aussi le point de vue de Nisargadatta Maharaj et de philosophes comme Plotin.

Selon d'autres, enfin, la conscience ne saurait être conscience sans être conscience de soi. La conscience de soi n'est pas un accident à la surface d'une conscience plus profonde qui ne serait que conscience pure, mais bien l'essence même de la conscience. Une conscience sans pouvoir de se connaître n'est pas "conscience pure" : ça n'est pas conscience du tout, ça n'est même pas "néant", car le néant est expérience du néant, et l'expérience est conscience. 

Certes, conscience de soi implique possibilité de souffrir. Mais la conscience est joie, secrète extase. Même dans la souffrance, c'est extase est présente. C'est le principe de la reconnaissance de la conscience par elle-même, c'est-à-dire de la conscience réalisant son infinie grandeur jusque dans l'aventure de ses plus basses misères. C'est le vertige des abîmes. C'est liberté.
Et la conscience de soi n'implique nullement dualisme, mais seulement distinction relative. Autrement, si la conscience devait seulement être absolument simple, elle serait pour ainsi dire prisonnière de son unité. Autrement dit, elle serait comme une pierre (qui n'est qu'une pierre, qui est incapable de se ressentir), inerte et privée de conscience, "'d'être pour soi". Certes la pierre ne souffre pas. Elle ne se sait même pas pierre. Mais enfin, l'être-pierre n'est, au mieux, qu'un aspect de la conscience, de l'absolu, et non son tout ! Qui irait faire d'une pierre, en tant que pierre, son idéal unique ? N'être que "ce qui est", fut-ce avec des Grandes Majuscules, c'est n'être qu'une chose limitée, confinée en elle-même, c'est n'être que cela. Alors que conscience... c'est le pouvoir de se faire être comme ceci ou comme cela, c'est la liberté souveraine de se ressaisir comme étant, ou même comme n'étant pas, comme étant une partie ou le tout. C'est cela, l'absolu, ce pouvoir insigne de se rendre autre tout en restant soi, de se projeter en soi-même, d'accomplir l'impossible, de se présenter jusque dans la plus extrême absence et de s'absenter jusque dans l'éclat de sa propre présence.
Cette dernière vision de la conscience englobe les précédentes, elle ne les exclut pas. C'est le point de vue "intégral" du shivaïsme du Cachemire, de la Reconnaissance et de philosophes comme Proclus.

Réaliser cela, instant après instant, c'est le Cœur, car c'est un battement, une respiration, un frémissement, un balancement, un dialogue.

Quoi de plus merveilleux, vertigineux, quoi de plus miraculeux, adorable et terrifiant, que ce jaillissement pur, là, maintenant ?

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