S'il y a un actif que tout le monde connaît c'est bien le cash. Celui-ci fait partie du portefeuille de tout un chacun, investisseur ou non, parfois par intermittence, parfois en permanence. Monsieur et Madame Tout-le-Monde ne possède en principe que lui, parce qu'il ne veut, ne peut ou ne sait pas investir dans d'autres actifs. L'argent liquide leur paraît, à tort, comme étant le seul garantissant la survie de leur capital. Pourtant, n'importe quel investisseur, un tant soit peu avisé, sait que le cash est au contraire l'actif de prédilection pour perdre à coup sûr son argent sur le long terme.
Je vois encore ma grand-mère aller chercher en catimini ses billets cachés au grenier. Si on fait fi du risque de vol, c'est certain qu'elle y retrouvait exactement ce qu'elle y avait déposé. Dans sa tête, chaque franc qui y était dissimulé était quelque chose de très concret. Un franc vaudrait toujours un franc, quoi qu'il se passe. Elle avait à 100% raison, sauf qu'elle oubliait que si la valeur de son argent ne changeait pas, celle du pain, des fruits & légumes, de son loyer et de ses assurances ne faisait que grimper. Les chiffres indiqués sur ses billets étaient bien toujours identiques, mais elle avait besoin de toujours plus de billets pour vivre. Elle n'était pourtant pas du style à aller au casino... On peut se moquer de ma grand-mère, n'empêche qu'elle n'est pas très différente de toutes les personnes qui placent leur argent exclusivement sur un compte bancaire, même en épargne.
Ceci étant dit, le cash n'a pas que de mauvais côtés. Sa première utilité c'est d'abord de constituer un fonds de secours. Avant de commencer à investir son argent il faut s'assurer d'être à l'abri de tout événement financier inattendu, qui nous obligerait à solder, peut-être à perte, certaines de nos positions. Il faut aussi posséder en permanence des petites réserves de liquidités pour être prêt à saisir des opportunités en bourse le cas échéant. Le cash est aussi souvent employé comme un des actifs stratégiques d'un portefeuille, comme par exemple dans le Permanent Portfolio. Il peut aussi faire partie d'une stratégie d'investissement par intermittence en fonction de critères fondamentaux ou techniques. C'est le cas par exemple pour l'Ivy Portfolio de Meb Faber. On peut aussi avoir du cash simplement parce que l'on ne trouve momentanément pas d'actif intéressant dans lequel investir. On vit ceci notamment quand les obligations et les actions sont simultanément hors de prix. On se retrouve alors facilement emprunté, car ces périodes peuvent aller de pair avec de très faibles taux d'intérêt, comme en ce moment. Cela signifie qu'on va devoir laisser dormir ses liquidités, en attendant mieux, et que celles-ci ne vont rien rapporter, dans le meilleur des cas. Sur certains comptes, on peut même se voir taxer de frais administratifs, ou pire, des taux d'intérêts négatifs (typiquement si vous avez des CHF sur des comptes l'étranger).
Il est quasi impossible, et même contre-productif, de ne pas posséder de cash. D'un autre côté, plus la part de liquidités est importante, plus les revenus issus des placements à tendance à baisser, en particulier lorsque les taux d'intérêts sont bas.
Une alternative consiste à placer son argent sur des obligations à très court terme. Les échéances se doivent d'être très courtes car vous devez être certain de pouvoir retirer votre argent à n'importe quel moment, sans perdre d'argent. Plus les maturités sont à brève échéance, plus le risque est faible, mais plus le rendement est bas aussi. Au vu de la faiblesse des taux actuels en Suisse, cela pose donc clairement problème, puisqu'on peut même perdre de l'argent sur des emprunts à court terme. La situation n'est d'ailleurs guère plus réjouissante chez nos amis européens.
On trouve des taux nettement plus intéressants aux USA, puisque la Fed suit une politique monétaire de moins en moins accommodante. Le dollar offre actuellement un intérêt de 2.4%, ce qui nous change des taux négatifs sur le CHF. Néanmoins, y investir signifie également se soumettre au risque de change, ce qui n'est pas vraiment le but. Certes, investir sur le dollar à moyen terme peut être intéressant étant donné le tour de vis initié par la banque centrale, mais n'oublions pas qu'à long terme le billet vert est une monnaie structurellement faible et qu'à court terme elle peut aussi varier sensiblement. Une position cash ne devrait pas varier de manière inattendue d'un jour à l'autre, faute de quoi elle ne remplirait plus son rôle d'actif immédiatement disponible.
Prenons l'exemple de l'ETF ICSH, coté à NY en USD et qui investit dans des obligations à court-terme et des instruments du marché monétaire. ICSH offre actuellement un rendement attractif de 2.66% et affiche une stabilité particulièrement intéressante pour placer son argent à court terme comme on peut le voir dans le graphisme ci-dessous. Ce placement répond a priori aux exigences d'un actif qu'on peut revendre pratiquement du jour au lendemain sans crainte de devoir vendre à perte. Sur les cinq dernières années il a affiché une performance de 6% (coupons compris), soit 1.1% par année. Ce n'est pas énorme, mais c'est déjà ça, d'autant que les taux étaient assez faibles durant les premières années.
Néanmoins, si on regarde ci-dessous le même titre valorisé en CHF durant la même période, l'image est sensiblement différente. On n'est certes loin de la volatilité des actions, mais on se rend vite compte que les effets de change entraînent des variations importantes de la valeur de l'actif, même sur des courtes durées. On a beau faire abstraction du "krach" du 15 janvier 2015 dû à l'abandon du taux plancher par la Banque Nationale Suisse, il n'en reste pas moins que le cours d'ICSH n'est jamais stable en CHF, contrairement à ce qu'il était en USD. Il est donc impossible de placer son cash sur cet ETF si on souhaite l'utiliser comme un actif immédiatement disponible. Paradoxalement, il a pourtant affiché une meilleure performance en francs suisses, puisque sa rentabilité est montée à 19.5% sur ces cinq dernières années (coupons compris), soit 3.5% par an. La très bonne tenue du billet vert par rapport à notre devise nationale durant cette période explique ce phénomène. Le danger, qui va bien au-delà de la simple volatilité induite par cette méthode, c'est qu'à long terme le dollar a plutôt tendance d'aller dans l'autre sens par rapport au franc suisse.
Une fausse bonne idée serait de vouloir investir dans cet ETF en se couvrant du risque de monnaie. On peut le faire par exemple en empruntant du dollar, avec un contrat à terme sur le CHF/USD ou une option sur ce même contrat. Le problème c'est que la différence entre le rendement offert par l'ETF et le taux d'intérêt sur le dollar est tellement faible qu'on est assuré de perdre de l'argent avec cette solution.
Alors, est on condamné à vivre pour longtemps avec du CHF qui ne rapporte au mieux rien du tout ? Oui et non. Il faut d'abord relever que le franc suisse, bien que ne payant aucun intérêt (voire en facturant), est une monnaie forte. Il a donc tendance à s'apprécier par rapport aux autres devises sur le long terme. Cela signifie que vous devenez de plus en plus riche avec vos francs par rapport aux autres devises. La dépréciation du dollar par rapport à notre monnaie sur le long terme en est un cas édifiant, comme le montre le graphique ci-dessous (cela ne signifie pas pour autant qu'il faille laisser tomber les actions américaines, car la plupart d'entre elles adorent que leur monnaie domestique se déprécie, en particulier celles des sociétés fortement exposées à l'international et celles actives sur les matières premières).
D'un certain point de vue, le CHF est l'équivalent monétaire de l'or dans les matières premières. Ce sont deux valeurs refuge. Comme le métal jaune, il ne rapporte (actuellement) pas de distributions et leurs prix respectifs face au dollar ont tendance à se comporter durant de longues périodes de manière similaire, avec une performance sur le long terme assez proche. Le franc suisse est donc un peu notre or à nous.
On a donc tout intérêt à rester investi dans le franc suisse, en tout cas si on n'a pas d'autre alternative de placement dans des actifs plus rémunérateurs (actions, immobilier ou obligations par exemple). Néanmoins, même si elles se valorisent par rapport aux autres monnaies, il peut être frustrant de posséder des liquidités en CHF, surtout si elles sont abondantes.
Pour cette raison, je me suis inspiré de mes travaux d'il y a trois ans sur le Trading Auto Signal, que j'avais dû abandonner à cause de changements effectués chez mon fournisseur de services de l'époque. Je me suis penché sur la paire USD/CHF, avec l'idée de bénéficier à la fois de la force du franc sur le long terme, tout en faisant quelques profits supplémentaires sur des variations à plus court terme de cette paire de devises, lorsque les conditions de marché le permettent. L'approche consiste en fait simplement à être cash en CHF lorsque les taux y sont suffisamment rémunérateurs. Si ce n'est pas le cas, on les convertit en billets verts lorsque ces derniers se sont considérablement dépréciés sur un bref laps de temps, avant de revenir sur le franc suisse. Les 3/4 du temps, on est investi en devises helvétiques. De plus, lors de taux particulièrement faibles sur les deux devises, le signal est susceptible de prendre exceptionnellement une position sur l'ETF indiciel SPY.
L'algorithme ainsi testé donne en backtest une performance annuelle moyenne (nette de frais) de 3.41% en CHF sur 20 ans. Ce n'est pas énorme, mais c'est tout de même sensiblement mieux que les 0.79% par an en moyenne qu'on aurait obtenu sur la même période en laissant dormir nos francs suisses sur un compte en banque.
Le graphique ci-dessous retrace l'évolution de 20'000 CHF investis le 31.12.1998. On y constate que sur de très longues périodes le signal reste investi en CHF et ne progresse qu'en fonction des taux d'intérêts. Il n'y a donc strictement rien à faire durant tout ce temps. Puis, lorsque les taux helvétiques deviennent discriminatoires, le signal commence à osciller à court terme entre CHF et USD. A noter qu'entre l'automne 2013 et le printemps 2015 le signal a même été investi sur l'ETF SPY à cause d'une situation exceptionnellement faible sur les taux d'intérêt des deux devises.
Les investisseurs attentifs auront remarqué néanmoins qu'il y a un petit prix à payer pour cette méthode. On peut perdre parfois quelques points de pourcentage (la pire perte en vingt ans est de 7.9%). C'est rare, ça ne dure jamais très longtemps, mais évidemment ça fait que les liquidités perdent durant ces instants leur rôle d'actif immédiatement disponible. Pour cette raison, je préconise de splitter la part cash en deux parties, une moitié consacrée aux besoins imminents, toujours investie en CHF et l'autre moitié consacrée aux besoins à moyen terme, investie dans le signal monétaire présenté ci-dessus. Evidemment, on y perd un peu de rentabilité, puisqu'on descend ainsi à 2.26% par an en moyenne, mais cela reste toujours 1.47 points de pourcentage de plus que les taux d'intérêts payés sur le CHF. Avec cette manière de faire on est certain de toujours avoir des liquidités disponibles immédiatement.
En utilisant l'ETF ICSH mentionné plus haut durant les phases consacrées au dollar on peut encore grappiller quelques gains supplémentaires, à condition bien sûr de ne pas devoir payer de commissions trop importantes. C'est le cas chez Interactive Brokers par exemple. Néanmoins le gain additionnel est tellement minime (0.02% par an en moyenne), lorsque tous les frais ont été déduits, qu'il n'en vaut pas la peine.
En bref, cette méthode permet de gagner un peu plus avec ses liquidités, sans faire de miracle non plus. Elle marque la différence avant tout lorsque les taux suisses sont misérables, comme c'est le cas actuellement. Pour ceux qui auraient un compte à l'étranger, du genre Interactive Brokers, ça permet de se faire de l'argent avec ses liquidités, malgré les taux négatifs facturés sur le CHF.
Je ferai figurer dorénavant dans mon allocation d'actifs, l'instrument déterminé par le signal pour investir dans les réserves à moyen terme.