A l’heure où l’institution vient de doubler son budget Venezuela, le portant à 17 millions d’euros, voici un entretien avec Sophie Orr, directrice de opérations du CICR pour les Amériques.
Quelles sont les conséquences humanitaires de la crise au Venezuela ?
Les Vénézuéliens continuent donc de quitter le pays. Souvent, le soutien de famille part seul. Il se lance dans un périple incertain et dangereux en espérant trouver – au Venezuela même, dans les zones frontalières, ou dans les pays voisins – le moyen d’aider sa famille à joindre les deux bouts. De grandes difficultés assaillent ceux qui restent sur place. Les enfants quittent l’école parce que leur mère n’a plus les moyens de les nourrir ou parce que, tout simplement, il n’y a plus d’enseignants. Dans une tentative désespérée de survivre, certains enfants vont vivre dans la rue, s’exposant aux pires dangers.
Qu’est en mesure de faire le CICR dans ce contexte ?
S. O. : Cette année, nous renforçons notre action en faveur des personnes dans le besoin, en intervenant notamment dans les domaines de la santé et de l’assainissement. En fait, nous avons plus que doublé notre budget, qui est passé de 9 à 19 millions de francs suisses.
Nous continuerons de former les personnels de santé aux soins d’urgence, faire don de médicaments et d’équipements pour les hôpitaux et remettre en état les installations de santé publique. Nous espérons pouvoir visiter les lieux de détention pour apporter un soutien aux personnes détenues et aux autorités pénitentiaires. Pour que les personnes les plus touchées bénéficient des services publics de base, et que l’ensemble de la population y ait accès de la façon et au moment requis, il est vital de mener conjointement avec les institutions publiques une action apolitique visant à permettre le maintien de ces services.
L’année dernière, nous avons soutenu plusieurs hôpitaux en leur fournissant du matériel médical, en améliorant leurs services d’urgence, en formant leur personnel et en les aidant à mettre à jour les protocoles en vigueur. Nous avons pris en charge des milliers de patients malades ou blessés par arme, et dispensé une formation aux gestes et soins d’urgence destinée aux premiers intervenants.
Dans le contexte de la migration continue, nous offrirons également un soutien aux migrants les plus vulnérables pendant leur voyage, ainsi qu’aux personnes qui se sont déplacées dans les pays voisins et aux membres de leur famille restés au Venezuela.
Nous continuerons en outre d’apporter notre collaboration et notre soutien à la Croix-Rouge vénézuélienne ainsi qu’à différents partenaires issus de la société civile.
Quelle est votre position à propos de la distribution de l’aide proposée pour le Venezuela ? Le CICR y participera-t-il ?
S. O. : Il est important que davantage d’aide parvienne aux Vénézuéliens qui en ont besoin. C’est la raison pour laquelle le CICR renforce sa réponse humanitaire dans le pays. Notre seule préoccupation est de faire en sorte que les personnes les plus durement touchées bénéficient d’une assistance, et ce dans les meilleures conditions.
Nous sommes prêts – à condition que toutes les parties prenantes soient d’accord sur le rôle du CICR et de la Société nationale – à acheminer au Venezuela une aide humanitaire strictement basée sur les besoins et fournie en toute impartialité à l’ensemble des personnes nécessitant une assistance. Nous continuerons de mener nos activités par les voies habituelles afin d’apporter une aide dans le respect de nos principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance. Nous ne nous engagerons pas dans des discussions politiques.
Notre expérience – acquise au travers d’opérations menées dans des contextes divers et particulièrement complexes – montre que la posture de neutralité du CICR « est payante » : elle permet à nos équipes travaillant sur le terrain d’accéder aux populations touchées et de répondre à leurs besoins, tout en rappelant à l’ensemble des parties prenantes qu’il s’agit là de la priorité.
Avec qui avez-vous pu établir un dialogue au Venezuela ?
S. O. : Comme partout où nous travaillons, nous sommes en contact avec toutes les parties prenantes clés pour faire en sorte de bâtir un environnement favorable, qui nous permette de mener à bien notre action humanitaire. Au Venezuela, nous avons rencontré tous les acteurs concernés.
Le CICR rencontre-t-il des difficultés pour mener à bien son action humanitaire dans le pays ?
S. O. : Nous sommes présents au Venezuela depuis 1966 et nous sommes actuellement en mesure de mener nos activités. Nous apportons l’aide nécessaire et, cette année, nous doublons le budget de nos opérations et nous augmentons nos effectifs. Nous sommes présents sur le terrain et nous avons librement accès aux lieux où nous prévoyons d’apporter notre réponse humanitaire. Nous voudrions que cet accès soit étendu aux lieux de détention dans le pays et nous espérons que cela se produira bientôt.
Il est toujours important – dans tous les contextes où nous travaillons – que les organisations humanitaires accèdent librement aux populations ayant besoin d’aide.
Où en est la crise migratoire en Amérique du Sud ?
S. O. : Selon les chiffres de l’ONU, la situation au Venezuela a poussé à l’exode plus de trois millions de personnes. Au-delà des chiffres, c’est la vulnérabilité de ces migrants qui préoccupe le CICR. Quand une personne ou une famille disposant de peu de ressources entreprend un long périple à pied, elle a souvent besoin de beaucoup de soutien.
Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des migrants qui franchissent par des voies clandestines la frontière avec la Colombie. Du fait de la présence de groupes armés, les migrants risquent d’être victimes d’abus – extorsion, menaces, violences ou recrutement forcé. Les femmes et les mineurs non accompagnés sont particulièrement vulnérables, la violence sexuelle constituant un réel danger.
Au Venezuela, des parents partent en laissant leurs enfants derrière eux, les confiant à des proches âgés ou en les abandonnant dans une situation d’extrême vulnérabilité. De plus, l’exode actuel a un impact sur les capacités locales dans tous les secteurs. Enseignants, médecins, travailleurs sociaux et même volontaires de la Croix-Rouge vénézuélienne ont quitté le pays, ce qui vient encore aggraver la situation et compromettre la possibilité d’un relèvement rapide.