Nombreux sont les lecteurs de Poezibao à avoir appris la très douloureuse nouvelle de la disparition d’Antoine Emaz, ce dimanche 3 mars 2019. Antoine Emaz avait énormément encouragé et soutenu Poezibao et lui avait donné d’innombrables notes de lecture.
Dans un premier temps, le site mettra à disposition des lecteurs dès que possible un dossier PDF compilant tous les articles le concernant, lui et son travail, dans Poezibao.
Aujourd’hui, grâce à Armand Dupuy et aux éditions Centrifuges, le site publie un texte presqu’inédit. Ce sont des poèmes qui ont fait l’objet d’un livre d’artiste paru chez Centrifuges en février 2018, tiré à 21 exemplaires + 2HC, tous accompagnés d'un pastel original de Claire Chesnier (livre épuisé).
Nulle part, ici
un sol
laissé par l’eau basse
mouillé tassé serré
sous le pas
jusqu’au fond de l’air
un long chemin de sable plat
on ne peut pas se perdre
seulement aller
ou revenir
mais loin
longtemps
avec le vent les vagues
les traces s’effacent
vite
désunis ou pas
les pas
/
sans but
dans le ressassement des vagues
la mécanique du corps
et puis le vent
la lumière du matin
une longue courbe d’écume
sous le soleil
tire l’œil
sol stable dans le temps
plage de mémoire
la même
des années de sable
/
il y a les vagues
et ce qui reste là
le ciel le sable
ce qui bouge n’avance pas
plutôt tremble ou tourne
vibre vaste remue
pour au bout rester là
aussi
on est seul à passer
vraiment
seul à traverser
couper dans l’espace
sauf peut-être le vent
/
plage
difficile de poser ce qui se perd
se gagne
entre ici et la page
un paysage de poche
une photo délavée floue un dessin passé pâle
instable sur la paroi de tête
une sorte de fantôme d’espace
de langue
vue estompée jusqu’à très peu
un lieu avec sable mer ciel
n’importe lequel
est-ce vraiment important
/
pays épars dans les mots
en même temps qu’ils le disent
ils le gomment
et le redonnent
quand il n’est plus
ils font ce qu’ils peuvent
malgré tout portent
encore un peu
il faudrait de l’air
remettre du vent
dans tous les blancs
/
autre pays dissous plié
dans l’ici
« tristesse étrange »
pays comme un tiroir
un meuble de tiroirs
un paysage commode
/
on peut mettre des arbres
hauts vieux
ou bien juste leurs verts
si on veut
sur le bord gauche de l’œil
ici n’est pas exil
non
mais ici là-bas c’est où
au bout
dans les mots
/
ce qui a disparu
n’est pas oublié ou perdu
à peine parti plus loin
dans la langue et la tête
un lieu sûr sans lieu
nulle part
ici
mais il n’y a plus grand monde
aussi
sauf une tête une langue
tant que tête
et langue
après
ce sera vraiment fini
Antoine Emaz, Nulle part, ici, livre d’artiste, livre d’artiste paru chez Centrifuges en février 2018, tiré à 21 exemplaires + 2HC, tous accompagnés d'un pastel original de Claire Chesnier (livre épuisé).
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