La certitude était évidente, tout comme ma béatitude. C’était vraiment le mot : non seulement j’étais rempli d’un bonheur sublime, mais de plus je baignais dans cette félicité parfaite des élus au paradis ! Il faut dire que j’étais alors dans la période la plus mystique de ma vie, avec une confiance absolue dans la force de Dieu. Le moment choisi pour cette dernière cigarette n’était ainsi pas anodin : nous étions le soir du Mardi gras et le lendemain, c’était le Mercredi des Cendres. Ou le début du Carême…
Bref, ne riez pas, ce n’était pas vraiment moi qui arrêtais cette dépendance tabagique. C’était Dieu qui m’habitait et qui allait rendre la concrétisation de ma décision encore plus facile que la prise de cette dernière. Ce fut vraiment très facile, et définitif.
Cela n’a pas fait de moi pour autant un pratiquant convaincu. Au contraire, cet événement marquant correspond à ma prise de distance, certainement par rapport à l’institution Église, mais aussi et plus paradoxalement par rapport à la foi elle-même. Le recul par rapport à l’Église était somme toute normal : j’avais pu bénéficier de l’aide divine en voie directe, sans devoir passer par le biais de ses représentants humains, décidément inutiles.
Mon éloignement progressif, à partir de cet épisode, de ce Dieu qui avait agi à ma place est plus complexe, mais néanmoins logique. Le temps passant, je n’étais plus tout à fait dupe : si j’avais pu arrêter de fumer du jour au lendemain, sans grande difficulté, c’est que je l’avais décidé ! Au plus profond de moi. Cette prise de conscience, peut-être très présomptueuse, correspond à mes représentations actuelles d’un Dieu qui n’existe (s’il existe) que par les hommes tout comme les hommes n’existent que par Dieu. Mais ça, c’est une autre histoire…
Finalement, peu importe ce qui m’a permis de quitter la compagnie de la cigarette, il y a 40 ans. L’important est que j’ai arrêté. Je ne l’ai jamais regretté·e !