Aujourd’hui, nous replongeons dans le Paris du début du XXème siècle. Et qui allons nous retrouver ? Notre flamboyant Amedeo Modigliani ! Je t’invite à cliquer ici si tu souhaites en savoir plus sur sa vie mouvementée et sa carrière.
Mais pour les petits flemmards (je vous vois) je peux vous faire une petite mise en contexte :
Amedeo (1884-1920) est un artiste italien qui a migré à Paris en 1906, alors surnommée « la capitale des arts ». En effet, l’art de demain est en train de s’y créer : après l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme, le surréalisme réinventent l’art et en bousculent ses frontières. L’art classique et guindé recule pour laisser la place à un renouveau sans précédent. Des artistes de toute l’Europe viennent s’installer à Paris, pour participer à cette effervescence. On partage les chambres, souvent insalubres, les ateliers, des verres de vin et les idées les plus folles. À la fin du XIXème, le quartier des artistes se trouve à Montmartre. Mais les curieux (et déjà) les touristes gentrifient le quartier. Les artistes migrent donc au début du XXème à Montparnasse, quartier bien plus tranquille et ex centré où des ateliers poussent comme des petits champignons.
Amedeo, est sculpteur dans l’âme, mais la poussière dégagée par la taille de la pierre affectant sa santé, il se met à peindre et plus particulièrement des portraits. Ces derniers rappellent les sculptures cycladiques ainsi que l’art Ouest africain (alors très en vogue), avec leurs yeux vides et leurs cous allongés. Dedo est très beau, aime boire, chanter à tue tête, fumer (et distribuer) du hasch et se battre. À Montmartre tout comme à Montparnasse, tout le monde le connaît et il ne manque pas une occasion de faire le kéké.
La rencontre avec Béatrice Hastings
Béatrice Hastings, née en 1879 à Port Elizabeth en Afrique du Sud, migre à Londres en 1906. Femme engagée et aux idées progressistes, elle milite entre autres pour le droit de vote des femmes. Elle travaille pour la revue The New Age et part à Paris comme correspondante, peu de temps avant la Première guerre Mondiale, et envoie régulièrement à la revue une série de chroniques intitulées « Impressions of Paris« . Béatrice est une intellectuelle excentrique : on l’aperçoit se promener avec un panier en osier garni de canards vivants, elle arrive en soirée régulièrement déguisée, elle boit du whisky et est parfaitement intégrée dans le cercle de l’avant-garde parisienne.
Béatrice raconte qu’un soir de 1914, attablée dans une crèmerie, elle se retrouve assise en face d’un type un peu déglingo : » On était assis l’un devant l’autre : haschich et cognac, je ne savais pas qui il était. Il me sembla laid, la barbe longue, féroce. » Vous avez dit haschich ? Et oui, c’est Modigliani, qui n’est pas au top de sa forme ! Heureusement, elle le croisa peu de temps après et il pu enfin lui en mettre plein les mirettes : » Puis, je l’ai revu à La Rotonde et son aspect était bien différent : bien rasé, gentil, il enleva son chapeau d’un joli geste et me demanda d’aller voir son travail.«
Rapidement, ils se mettent en couple et Béatrice sert de modèle à Modigliani. En 14 tableaux, l’artiste la décline sous différentes facettes physiques et psychologiques. La jeune femme a parfois le visage bien rond, d’autres fois plutôt plus longiligne et ses expressions, telles sa personnalité très changeante, varient au fil des toiles. Comme pour chaque portrait qu’il peint, Dedo se concentre sur l’essentiel pour faire ressortir la psychologie de ses modèles. Les lignes noires cernent des formes synthétiques, peintes en aplats de couleurs. Les fonds sont également simplifiés, constitués d’une seule tonalité ou présentant un encadrement de porte, un dossier de chaise.
La débauche passionnelle
Béatrice et Dedo forment l’un des couples les plus explosifs de Paris. Tous deux cultivés, les deux amants se testent et défendent leurs idées avec verve. L’un et l’autre ont une passion pour l’alcool et passent leurs soirées à se brûler le gosier et à fumer du haschich. Les disputes, les menaces et les insultes en public sont fréquentes et font partie intégrante de leur duo infernal. Un soir, alors qu’ils doivent se rendre à un bal costumé organisé à La Rotonde, la jeune femme ne trouve rien à se mettre et finit par enfiler une robe noire, trop sobre à son goût. Dedo prend alors ses pastels et lui dessine une multitude de papillons colorés sur sa robe. Béatrice illustre parfaitement dans son journal cette relation schizophrène en ces mots : « Mis Amedeo à la porte… Amedeo est brutal, mais si gentil comme ça. »
Aussi, le sculpteur Jacques Lipchitz raconte qu’un soir, Amedeo a débarqué chez lui, presque cul nu, bourré comme un coing, stressé comme jaja. Il lui dit : « Tu sais ce que voulait me faire cette truie furieuse ? Elle voulait me bouffer les balloches. C’est une mangeuse d’hommes. J’en peux plus. » Mais comme le dit si bien l’écrivain et ami de Modigliani, Blaise Cendrars : « Elle était entichée de Modigliani qui lui-même était un libidineux comme tous les italiens. »
En 1915, après un an de relation tumultueuse avec Béatrice, Amedeo décide de lui lancer une pique en lui tirant le portrait. Le tableau, dévoile dans son fond l’écriture du peintre qui nomme la toile « Madam Pompadour » en référence à la célèbre maîtresse de Louis XV, révélant ainsi le côté ambitieux, parfois écrasant, de Béatrice. En effet, dans les chroniques qu’elle écrit pour The New Age, la jeune femme finit par ne plus citer Modigliani lorsqu’elle mentionne son travail car le peintre n’a pas vraiment la côte. « Quelqu’un m’a représentée dans un beau dessin. Je rappelle un peu la Vierge Marie mais sans les accessoires de luxe.« , écrit-elle en novembre 1915. Désirant maintenir sa renommée de journaliste, elle ne veut pas prendre le risque de citer un peintre dont tout le monde (ou presque) se fiche.
Malgré tout, Béatrice épaule son compagnon. Elle le pousse à stopper la sculpture et à se consacrer uniquement à la peinture, n’hésitant pas à le soutenir financièrement.
Au printemps de 1915, elle quitte Montparnasse pour le quartier de Montmartre et s’installe au 13 rue norvins dans une petite maison où logeait autrefois Émile Zola. Le rez-de-chaussée est composé d’une entrée, une cuisine, un débarras et une salle à manger. Elle s’occupe avec soin du jardin qu’elle peuple de diverses plantes et fleurs. Son ami et poète Max Jacob vient partager son quotidien et notre Dedo ne se gêne pas pour les rejoindre régulièrement.
Béatrice raconte que Modigliani, arrivait le soir complètement bourré, et souvent, défonçait les vitres de ce petit havre de paix pour y rentrer se coucher. Et elle ajoute : » Si j’étais soûle moi-même, c’était une formidable scène ! » (on en doute pas). Quand elle prenait des moments pour écrire, elle détestait qu’il sonne comme un fou à l’entrée, mais heureusement Max venait lui ouvrir. De plus, notre petit ravagé du bulbe a son atelier à 5 minutes à pieds, au 13 rue de ravignan ce qui facilite ses intempestives venues. C’est son marchand d’art Paul Guillaume qui lui loue, l’atelier jouxtant le Bateau Lavoir, cité d’ateliers d’artistes où Modigliani séjourna à son arrivée à Paris.
En 1916, après deux ans de relation, Béatrice met fin à leur couple pour partir au bras du sculpteur Alfredo Pina. Dedo, plus vraiment amoureux s’en remettra rapidement. Mais les deux jeunes gens seront amenés à se recroiser, notamment durant une soirée qui faillit très mal se terminer… Suite au prochain épisode !
Pour en savoir plus sur Modigliani : ici
Sur l’une de ses amies, surnommée la Reine de Montparnasse : ici
Sources :
- Christian Parisot, Modigliani, Folio Biographies, Paris, 2005
- Dan Franck, Bohèmes : Les aventuriers de l’art moderne (1900-1930), Le Livre de Poche, Paris, 2006
- Jean-Marie Drot, Les Heures chaudes de Montparnasse, Le Musée du Montparnasse, Paris, 2007
- Hilka Sinning, Modigliani : le corps et l’âme mis à nu, reportage, Allemagne, 2017