Nan Aurousseau : Des coccinelles dans des noyaux de cerise

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

Des coccinelles dans des noyaux de cerise de Nan Aurousseau    4,5/5 (15-02-2019)

Des coccinelles dans des noyaux de cerise (221 pages) est sorti le 3 janvier 2017 aux Editions Buchet/Chastel. Il est disponible en version poche depuis le 17 janvier 2019 (176 pages) chez Folio.

  

L’histoire (éditeur) :

À Fresnes, où il fait un séjour pour vol avec ruse, François partage sa cellule avec Medhi, un cador du grand banditisme. Ce Medhi, c’est du méga lourd. D’ailleurs, il ignore superbement François qui, de son côté, joue les serviteurs zélés. Au fil des semaines, les intentions de François vont se révéler...

Mon avis :

Né d’un père inconnu et d’une mère abattue à 24 ans d’une balle dans la tête par celui qu’elle cambriolait mais maintenue en vie 6 mois jusqu’à la naissance du bébé, confié à ses grands-parents (morts 12 ans après), François est aujourd’hui adulte.

« Moi rien que de repenser à ma vie dans le ventre mort de ma mère, je devenais tout rabougri de l’intérieur, tout sec et plein de bave comme un os de sanglier rongé par un chien enragé pendant un an. » Chapitre 26

Grandi sans amour maternelle, incapable d’aimer les femmes, il a toujours du mal à aimer la vie, cette chienne qui s’amuse à laisser des peaux de bananes sur sa route. A 43 ans, il n’en a pas fait grand-chose d’ailleurs, de sa vie (enfin si, beaucoup de conneries).

« J'ai escroqué, rusé, embobiné, j'ai fait beaucoup de misères à autrui. Autrui est chez lui dans la jungle. moi pas. La jungle ne m'a jamais aimé et je le lui ai toujours rendu au centuple. Je suis tombé par hasard. c'est méchant le hasard, ça fait vachement de dégâts. » Chapitre 2 

Mais sa vie est loin d’être finie et même si ce n’est pas dit qu’il trouve l’amour, il serait néanmoins susceptible de prendre en belle revanche. Mais pas d’omelette sans casser des œufs…

« J’ai fugué, j’ai volé, j’ai fait de la prison sans arrêt, c’est ma vie, ma putain de vie à la con mais c’est la mienne et ça ne s’échange pas une vie Et puis personne en voudrait d’une vie comme j’ai eu jusqu’à présent. Mais ça va changer ça c’est sûr, ça va bouger. Je fais tout ce qu’il faut pour ça. J’ai déjà bien avancé mes coccinelles sur le damier. » Chapitre 2

Installé dans une caravane sur un bout de terrain en bord de la Marne à Créteil (qu’il loue à Dédé) avec sa copine (une grosse cinglée, dit-il avec beaucoup de réalisme, rencontrée au parloir), il sculpte les noyaux de cerises et prépare un gros coup… Ça fait un an qu’il est sorti de Fresnes pour vol « avec ruse » où il s’est retrouvé en cellule avec Mehdi Cherif, un cador du grand banditisme, un type qu’on respecte, celui-là même qui a réussi à planquer un gros magot accumulé avec ses complices…

Roman noir comme j’aime, avec ce qu’il faut d’humour (noir), de scènes de violence, de suspens, de narration sombre, cynique (totalement à l’image du narrateur) et particulièrement percutante et surtout un protagoniste trash, froid, sans empathie aucune mais malgré tout attachant, Des coccinelles dans des noyaux de cerise est l’histoire d’un coup (où il est question de feux rouges, de jolie femme, de petite cuillère, de plongée sous-marine…), mais avant tout l’histoire de François, le narrateur. Il se dévoile ici tout doucement et délicatement (pas sans une certaine dose de violence nécessaire mais propre) et lève le voile sur sa vraie nature.

« On a toujours des surprises avec les gens quand on les connaît pas. Il y a tellement de clichés à propos des assassins. A me voir avec mes vielles lunettes rafistolées au sparadrap on ne me prend pas au sérieux. Les gens ont des idées complètement sclérosées sur l’allure d’un tueur. Ils vont trop au cinéma et voilà le résultat, quand vous leur tombez dessus ils mettent un certain temps à croire que c’est pour de vrai, en attendant ils espèrent. L’espoir il n’y a rien de pire pour la victime. Moi je sais jouer sur cette fibre-là. La torture c’est un peu comme le violon si on regarde bien, il y a toute une gamme ? » Chapitre 38

J’ai particulièrement aimé le style de Nan Aurousseau qui donne à son protagoniste une voix (populaire) et plonge le lecteur dans son esprit de tueur en série, dans sa vie et dans une ambiance très noire mais qui colle si bien à la réalité que ça en devient plus jubilatoire. Sa peinture au vitriol de notre société est juste, sans demi-mesure, elle permet ainsi de positionner l’histoire dans un contexte réaliste de misère sociale et surtout se décadence intellectuelle, accentuant l’aspect humoristique sans jamais tomber dans le burlesque (ni le moralisateur)…Il y a beaucoup de vérité dans les mots de François, il connaît le vie, les gens et même si son regard est cynique, désabusé, dur et négatif, il reste pourtant très souvent juste.

« Les gens aiment pas les histoires de prison et ils aiment pas les jeunes détenus non plus. Déjà qu’ils aiment pas les pauvres alors quand en plus ils sont jeunes et d’origines étrangère bonsoir la haine. Parce que les gens n’aiment pas les jeunes sauf pour se moquer d’eux quand ils se bouffent e cl sur le petit écran et pour en dite du mal le lendemain au travail quand ils vont fumer dehors. »  Chapitre 20

« Il fallait quand même que je me méfie parce qu’elle avait de origines asiatiques et donc elle était risée dans ses fondations. » Chapitre 43

Mélange de décadence et d’intelligence, de cruauté et de bon sens, de froideur et de compassion (pas trop quand même, la barbarie revient naturellement finalement assez vite), Des coccinelles dans des noyaux de cerise, ballade son lecteur pour son plus grand plaisir dans la vie d’un tueur calculateur au style oral et direct, parfois joliment imagé et toujours très efficace. Certaines phrases raisonnent et frappent comme des coups de marteau, on les dirait presque poétique, chargées de violence plus par ce qu’elles transportent que les mots qui les composent.

« Moi j’étais déjà barré dans la croûte du pain qui traînait encore sur la table sans qu’ils aient rien remarqué J’étais sur la cordillère des Andes, sur des crêtes de hautes montagnes. Ça sert à ça la croûte du pain, les grains de riz et les noyaux de cerise, à s’évader loin, très loin de toutes les horreurs humaines, de toutes les saloperies qu’ils allaient nous faire. Le corps est encore là mais l’esprit était ailleurs et c’est l’esprit qui souffre à travers le corps. Il restait plus que mon ombre, l’autre François, celui qui me suivait sur la carte de France, celui qui pouvait pas souffrir parce qu’il existait pas. » Chapitre 30

« J’aime pas les gendarmes. Quand les gendarmes arrivent c’est comme une annonce de gros temps, faut plier les voiles, sauf que moi maintenant je pouvais pas, j’étais comme le ce attaché à une chaîne, une chaîne invisible mais une grosse chaîne quand même. » Page 23

En bref : excellent roman noir, glaçant et grinçant, à découvrir absolument !

« Ma combine devait, nonobstant quelques inconvénients, fonctionner au quart de poil de cul. On allait bien voir qui c’était le taulier dans tous ce merdier malgré les apparences. Les apparences, tout est là dans notre société. J’avais l’air vraiment bien comme il faut, c’est un métier les apparences. »  Chapitre 22