Se retourner, faire volte-face vers soi est le geste libérateur essentiel, le cœur des traditions spirituelles et du shivaïsme du Cachemire.
Abhinava Goupta pointe le fait que la conscience n'est jamais cachée par les pensées, etc., car les pensées ne peuvent se manifester que comme Lumière de la conscience :
Les limites (bandha) ne peuvent se manifester si elles ne font pas corp avec la conscience qui est Manifestation. Telle est la réalisation au sein des phénomènes : la réalisation spirituelle (siddhi) consiste à être toujours ainsi en se retournant vers soi (parivritya). Elle est félicité, elle est être l'absolu qui se réalise, conscience de soi qui est pleine conscience, [pareille] à un cœur [qui palpite] naturellement.
(Parâtrîshikâ-vivarana, I)Ce retournement est "la réalisation du fait que toutes les choses, toutes les apparences, apparaissent dans le Soi qui est le Moi en sa plénitude." "En sa plénitude" : le faux Moi est le vrai Moi (il n'y en a qu'un), mais il ne s'identifie pas seulement à ceci ou à cela. Il s'identifie à la Lumière-conscience, qui n'est ni rien, ni quelque chose, mais qui se manifeste librement comme telle chose ou son absence.
La réalisation est conscience de la conscience, illumination de la Lumière, conscience de l'évidence de la Lumière.Quand la Lumière est toute tournée vers les choses, c'est le samsâra. Quand elle se retourne vers elle-même, c'est la libération. Tout l'être se retourne vers son centre et se reconnaît comme libre des choses, comme source des choses et comme substance des choses. Tout est le jeu d'un seul être avec soi-même, à travers une infinité de choses, d'états, de sentiments, de phénomènes, de corps, de destinées, etc.
L'éveil est un retournement de l'attention, du désir, de l'énergie. Mais il ne s'agit pas de passer de l'extraversion à une introversion qui serait psychologique seulement : dans ce cas, en effet, l'attention est toujours tournée vers des choses. Au lieu que ces choses soient "publiques", elles sont "privées". Mais au fond, c'est toujours de l'extraversion. L'introspection psychologique est une sorte d'extraversion. C'est pourquoi elle n'est pas l'éveil. La conscience identifiée au mental peut, par cette introspection, "réaliser" sa personnalité, son tempérament, son caractère, etc.
En revanche l'éveil libérateur qui ouvre à la plénitude est l’introversion radicale, de soi vers soi, vers le Moi qui ne peut jamais se réduire à une chose, à un "cela". C'est le retournement dont il est question ici. C'est tout le contraire d'une contraction : bien plutôt une expansion, une explosion de l'attention, qui s'éveille de l'emprise des choses et retrouve son immensité et sa souplesse. La conscience focalisée et rigide est le mental. Le mental ouvert (pas au sens bobo-new-age de "tolérance", "non-jugement" et compagnie, bien sûr; et ceci est valable pour tout le reste du vocabulaire ici employé) est conscience. C'est la même énergie, contractée ou bien détendue.
C'est la conversion à l'Un de l'âme, la "quête" dont parlait Ramana Maharishi, et ainsi de suite.
Tout apparaît comme avant, mais dans l'espace de la conscience.