Quatrième de couverture :
À l’été 1967, une jeune fille nommée Zaza Mulligan disparaît dans les bois entourant Boundary Pond, un lac situé à la frontière entre le Québec et le Maine, rebaptisé « Bondrée » par un trappeur qui y avait vécu une tragique histoire d’amour. Les recherches s’organisent et Zaza est bientôt retrouvée morte, la jambe prise dans un piège à ours rouillé. L’enquête conclut à un accident. Mais lorsqu’une deuxième jeune fille disparaît à son tour, l’inspecteur Michaud se dit que les profondeurs silencieuses de la forêt recèlent d’autres pièges…
Une écriture raffinée au service d’atmosphères angoissantes et de subtiles explorations psychologiques, dans la plus pure tradition de Twin Peaks de David Lynch.
D’accord, les prix attribués à un roman ne sont pas une garantie absolue mais Bondrée vaut bien les nombreux prix qu’il a gagnés, notamment le Prix des lecteurs aux Quais du polar en 2017. C’est là que j’ai découvert ce livre. J’ai découvert par hasard que c’est la lecture polar de février sur Babelio et je l’ai donc sorti enfin de ma PAL.
Quel magnifique roman ! L’action est resserrée sur quelques jours, en un seul lieu, les abords du lac et la forêt de Bondrée, les acteurs sont obligés de rester sur place pour les besoins de l’enquête. Le seul qui vient de l’extérieur, c’est l’officier de police Stan Michaud qui vient du Maine tout proche parce que Bondrée est à cheval sur la frontière entre le Canada et les Etats-Unis et que la première jeune fille morte est anglophone. Le tout est très visuel, le lecteur se fait une parfaite idée des lieux et des personnages écrasés par la chaleur de l’été.
Une action resserrée, disais-je, sur quelques jours, quelques semaines de l’été 67 quand Lucy in the sky retentissait dans tous les postes de radio. En même temps, l’enquête semble d’abord déboucher sur la thèse d’un accident. Une impasse plutôt pour Stan Michaud qui sent que cette thèse lui reviendra bientôt comme un boomerang, ravivant l’obsession d’une ancienne affaire non résolue qui lui mord toujours le coeur. Andrée Michaud prend le temps de nous placer au coeur de cette enquête, multipliant les points de vue avec précision : des pages brèves nous emmènent tantôt la tête du meurtrier, tantôt dans celle de la jeune fille poursuivie ; de plus longs développements nous font suivre les pensées, les émotions, les doutes voire le désespoir de Stan Michaud ou les actions des estivants autour du lac ; des chapitres à la première personne nous font voir l’histoire par les yeux d’Andrée, garçon manqué de 12 ans, qui observe les adultes, absorbe leur angoisse et ne sera plus jamais une petite fille après cet été. (L’auteur connaît bien la région, elle y passait ses vacances enfant, c’est sans doute pour cela qu’elle a donné son prénom et son nom à deux de ses personnages.)
Un autre aspect passionnant de ce roman noir est la place tenue par les femmes face aux hommes : adultes, gamines ou ados délurées, victimes de la violence mais aussi femmes fortes, femmes de flics, mères de famille qui, tant bien que mal, résistent au malheur, qui font tenir debout, qui restent lucides dans la tempête. Les rôles traditionnels restent bien sûr dans leur époque mais on sent que les hommes censés protéger leurs familles vacillent durant ce terrible été 1967. A ce titre le personnage de Michaud est extraordinaire. Ceci dit il n’y a pas que Michaud et Andrée, les personnages secondaires sont bien travaillés aussi. Et l’écriture est belle, élégante et parfois pleine d’humour malgré tout.
Je pense que ce roman me restera longtemps en mémoire. Un coup de coeur que je vous recommande si vous ne l’avez pas encore lu (il est en poche maintenant).
« Rien ne semblait pouvoir assombrir l’indolence bronzée de Boundary, car c’était l’été 67, l’été de Lucy in the Sky with Diamonds et de l’exposition universelle de Montréal, car c’était le Summer of Love, clamait Zaza Mulligan pendant que Sissy Morgan entonnait Lucy in the Sky et que Francky-Frenchie Lamar, munie d’un cerceau orangé, dansait le hula hoop sur le quai des Morgan. Juillet nous offrait sa splendeur et personne ne soupçonnait alors que les diamants de Lucy seraient sous peu broyés par les pièges de Pete Landry. »
« Les livres ne vous blessaient jamais, c’est pourquoi il les avait choisis. Chaque fois qu’il s’en éloignait trop, ce n’était que pour constater la douleur franche du réel, répandue jusque dans cette véranda, jusque dans les yeux de cette enfant. »
« Ils avaient passé la soirée dans ces couleurs, dans ces odeurs se mélangeant à celles de la confiture, des steaks qu’il avait cuits sur le charbon de bois, des haricots braisés, légèrement imprégnés du goût du charbon, un goût d’éternel été. Pour quelques heures, Stan Michaud avait décidé d’enterrer Zaza Mulligan, de poser sur sa tombe un pommier, un champ de foin jauni. Il l’exhumerait le lendemain, il le savait, le surlendemain, et se consacrerait à ses autres affaires en attendant qu’elle s’éveille et le frappe à la nuque, car elle était du bois dont on fabrique les boomerangs. »
« Le matin, on était partie du principe qu’on n’était pas plus bêtes que Sherlock Holmes, qui parvenait à résoudre des énigmes tordues en fumant de la cochonnerie entre les quatre murs de son bureau, mais on avait vite déchanté. De un, on n’avait pas de bureau, et de deux, nos trois cigarettes restantes avaient été confisquées par le père d’Emma, qui avait dû les fumer dans notre dos. De toute façon, on était des filles de terrain, plutôt du genre Miss Marple, la corpulence en moins, qui ne serait parvenue à aucun résultat si on lui avait mis trois ou quatre parents dans les pattes. »
« Je n’ai rien oublié des forêts de Bondrée, d’un vert à ce point pénétrant qu’il me semble aujourd’hui issu de la seule luminosité du rêve. Et pourtant, rien n’est plus réel que ces forêts où coule encore le sang des renards roux, rien n’est plus vrai que ces eaux douces dans lesquelles je me suis baignée longtemps après la mort de Pierre Landry, dont le passage au cœur des bois continuait de hanter les lieux. »
Andrée A. MICHAUD, Bondrée, Rivages, 2016