Le Voyage de Chihiro. Voyage au bout de l’enfer

Par Balndorn


Résumé : Chihiro, dix ans, a tout d'une petite fille capricieuse. Elle s'apprête à emménager avec ses parents dans une nouvelle demeure.
Sur la route, la petite famille se retrouve face à un immense bâtiment rouge au centre duquel s'ouvre un long tunnel. De l'autre côté du passage se dresse une ville fantôme. Les parents découvrent dans un restaurant désert de nombreux mets succulents et ne tardent pas à se jeter dessus. Ils se retrouvent alors transformés en cochons.
Prise de panique, Chihiro s'enfuit et se dématérialise progressivement. L'énigmatique Haku se charge de lui expliquer le fonctionnement de l'univers dans lequel elle vient de pénétrer. Pour sauver ses parents, la fillette va devoir faire face à la terrible sorcière Yubaba, qui arbore les traits d'une harpie méphistophélique.


L’un des films qui me terrifia le plus dans ma jeunesse ne fut pas un film d’horreur à proprement parler (quoique La Légende de Sleepy Hollow, vu à sept ans, se classe plutôt bien). Il s’agit du Voyage de Chihiro. Pourquoi tant d’effroi ?
Le carnaval de l’Horreur
La peur que m’imprima le film au premier visionnage me marqua d’autant plus que je le vis assez âgé. Je devais avoir une douzaine d’années, et je me souviens frimer avant de lancer le DVD, car celui-ci indiquait un avertissement parental, l’équivalent d’un classement « déconseillé aux moins de 10 ans ». Ma petite sœur l’avait pourtant déjà vu à sa sortie, quelques années plus tôt, et se souvenait du choc qu’il avait représenté à ses yeux d’enfant. Ceci aurait pourtant dû me mettre sur la voie, mais je n’en fis qu’à ma tête.Le film s’ouvre dans une veine assez proche d’Alice au pays des merveilles. La jeune Chihiro, dont la famille vient de déménager, s’aventure avec ses parents dans un tunnel débouchant sur une ville abandonnée. Chihiro passe l’après-midi à déambuler au travers des rues fantômes, laissant ses parents se goinfrer de pâtisseries oubliées sur les étals. Tombe le soir, et commence l’horreur. C’est Alice qui, d’œuvre déjà barge, vire au cauchemardesque. Aux parents transformés en porcs se bâfrant de saloperies s’ajoutent une sarabande d’êtres fantastiques, un défilé de grenouilles bipèdes et un cortège de masques grimaçants. La vision de ces masques (des kami et des yōkai, entités du folklore japonais m’apprend Wikipédia) descendant du navire me glace encore les sangs, à tel point Hayao Miyazaki sut composer la scène : éperdue, en fuite, Chihiro débouche sur les quais, et le bref instant de répit que lui accordait la mise en scène et la musique s’interrompt aussitôt pour laisser place au carnaval de l’horreur.Miyazaki a-t-il lu Howard Lovecraft ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, Le Voyage de Chihiro transpire d’une angoisse toute lovecraftienne. Ce n’est pas la peur de l’extraordinaire, du jump scare, du monstre en plein cadre ; comme le romancier américain, le cinéaste japonais mise sur un malaise diffus qui engourdit et terrifie. Une fois Chihiro retenue prisonnière à l’intérieur de l’établissement de bains tenu par Yubaba la sorcière s’enchaînent les créatures dont la seule présence met notre esprit sans dessus-dessous. Bô, le bébé géant de Yubaba ; les trois têtes sautillantes qui servent la sorcière ; Kamaji, l’homme à six bras ; l’esprit de la rivière putride ; et surtout, surtout, le Sans-Visage.
Le Sans-Visage et moi
Il m’en donna des sueurs froides, celui-là. Avec son absence totale d’expression, avec ses gémissements plaintifs, avec ses mains qui promettent l’or et arrachent la vie, il paracheva le délire horrifique dans lequel me plongea le film. Rien qu’à écrire ses lignes, je me rappelle encore l’effroi qui me saisit lorsque je le vis, et le geste et la voix que ma sœur s’amusait par la suite à contrefaire, sachant le malaise qu’elle m’inspirait ce faisant.Néanmoins, je survécus. Indemne, je n’en suis pas certain. Je mis bien des années (comme pour La Légende de Sleepy Hollow) avant d’accepter de revoir Le Voyage de Chihiro. Le second visionnage me révéla des strates allégoriques qu’aveuglé par le sens premier des images je ne percevais pas lors du premier. J’imagine sans mal que Chihiro constitue l’un des points d’orgue de la filmographie de Miyazaki. Que dans une œuvre d’une telle force se condensent presque tous les thèmes abordés par le cinéaste au long de sa carrière, avec une efficacité formelle redoutable. Mais voilà : mon impression première demeure. Sans doute me faudra-t-il du temps – et beaucoup de visionnages – avant que je n’accepte tout le brio de Chihiro.

Le Voyage de Chihiro, Hayao Miyazaki, 2001, 2h04
Maxime
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