(Note de lecture), Séverine Daucourt, transparaître, par Didier Cahen

Par Florence Trocmé

C’est la seule chose à faire...

transparaître :  un titre sans majuscule pour le quatrième livre de Séverine Daucourt, comme si ce récit poétique était une pièce manquante, inscrite dans un flux continu. Avec sa neutralité affichée, la 4ème de couverture joue parfaitement la carte de la transparence : « ses trois derniers livres, Salerni, A trois sur le qui-vive, Dégelle (La Lettre Volée) convoquaient les notions d’altérité, d’identité sexuelle, de corps et de féminité. » Changeant l’angle de vue (de vie...), « l’auteure tente à présent de circonscrire ce qui fait perdurer le "drame féminin" ». Elle nous raconte ainsi son expérience de femme de fille de mère, poète déshabillée, amante transamoureuse, actrice fantasmatique... Et avec quelle franchise ! Si la lecture traverse d’abord une odyssée très personnelle, très habitée voire endiablée du sexe, c’est moins l’histoire qui compte que cet universel qui déshabille le texte et transparaît dans ses petits riens, ses coins, ses blancs et ses redites : on goute au sexe des anges mais plus sûrement encore aux tours d’un bon petit diable qui bouche les trous de l’être. Laissons... On retiendra d’abord la description d’une vie presque ordinaire, mais augmentée de la boulimie de la chair : « coincée dans ma demande/que je crois être offrande/sauf que chacun se sert/bon appétit/moi dévorée (...) C’est la seule chose à faire, l’amour ». On est happé, bousculé, transporté, désarmé en découvrant les brèches et les fissures du corps, les positions tranchées d’un désir-non-désir, la superposition d’un plaisir-non-plaisir ; le cœur balance entre l’envie de « transparêtre » et l’enchère assumée de la publication d’une « autobiographie » proprement interdite : « collée derrière ma vitrine/invisible/exhibée/sans malice/déjà victime/déjà consentante ». Le livre garde jusqu’au bout sa ligne narrative, sa force énonciative : pas de justification, aucune explication, pas de bavardage savant sur le Désir, le Corps ou la Jouissance, mais une réserve de mots tenus en laisse, une écriture osée, dosée, frontale et maîtrisée, qui fait tout le prix de l’entreprise et de ce texte un véritable OVNI. Tout est dit secrètement du complexe familial, du jeu décomplexé de la différence des sexes, tout est dit discrètement de l’expérience fouineuse de la très très jeune fille, des « préférences » ludiques de la femme et de la mère, mais l’histoire suit son cours, affiche sa transparence, sa nudité sublime sans susciter la gêne… Après tout, c’est un improbable polar qui trouve sa forme unique en déniaisant le verbe ! Au-delà des apparences, le voyeur en sera pour ses frais ; rien d’autre à se mettre sous la dent que le dessein des lèvres, le maquillage des cœurs et l’admirable permission de la lettre. Son extrême liberté, son universalité. Le miracle s’accomplit puisque lecteur nous sommes lecteur nous resterons, destinataire élus, à la fois titillés, provoqués par l’ardeur du récit mais scrupuleusement protégés par sa poésie intime et sensitive ; témoins jaloux de l’invisible de notre condition. Cette place providentielle qui nous est réservée fait de transparaître un texte sans limites, un beau, un très grand livre d’un genre indéfini, requalifié, comme un ultime défi, en « poème politique ».

Didier Cahen

Séverine Daucourt, Transparaître, LansKine 2019, 144 p., 15€
On peut lire des extraits de ce livre.