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Le troisième roman de François-Henri Désérable est une succession de moments jubilatoires et la magnifique réussite d’un projet qui aurait pu mener l’écrivain à l’échec. Après deux fictions situées dans un passé plus lointain, il aborde avec Un certain M. Piekielny les rives glissantes de l’autofiction. Il y est lui-même au premier plan, avec quelques souvenirs qu’on rapproche volontiers de sa biographie – il ne dément pas. Avec, aussi et surtout, une quête jusqu’à l’absurde d’un personnage cité par Romain Gary dans La promesse de l’aube, un certain M. Piekielny au fond très incertain… Désérable fut un joueur de hockey sur glace. Il continue à glisser et à se faufiler entre les hypothèses les plus diverses considérées comme des adversaires à contourner. Les figures audacieuses réalisées avec brio dans ses phrases valent bien celles qu’il effectuait à la patinoire. Mais, comme lui, on ne va pas « tarasboulber l’intrigue ». Plutôt l’écouter en parler. C’est, comme le raconte le roman, à Vilnius que vous avez eu l’idée de partir sur la piste de Piekielny ? J’avais lu son nom dans La promesse de l’aube et le passage m’avait marqué. Je me suis vraiment retrouvé à Vilnius par hasard, je me suis vraiment fait voler mon portefeuille, je me suis vraiment promené dans les rues, et je suis tombé sur une plaque commémorative qui m’a fait penser à ce Piekielny dont je ne savais rien. Je n’ai pas tout de suite décidé d’écrire un livre sur lui mais, plus j’y pensais, plus j’avais envie de savoir qui il était. Donc, vous avez mené l’enquête… Oui, je suis allé plusieurs fois à Vilnius. Mais, en réalité, plus rapidement que je ne le dis dans le livre, je me suis rendu compte qu’il y avait un truc qui clochait. C’était un peu bizarre, que je ne trouve aucune trace de lui. Et puis, un jour, j’ai vu Le Révizor de Gogol. L’enquête est le support réel dont vous aviez besoin ? J’ai assez peu d’imagination, en fait. Mon premier livre, Tu montreras ma tête au peuple, c’étaient pour la plupart des histoires vraies. Evariste est un personnage qui a existé. Et, là, c’est un personnage fictif mais j’avais besoin de m’adosser à quelque chose. Je ne veux pas aller vers la non-fiction mais la frontière poreuse entre le réel et la fiction m’intéresse. On vous pensait parti pour des romans situés dans le passé. Ici, vous basculez… Oui, je n’ai jamais voulu m’enfermer dans le genre du roman historique. Je ne suis d’ailleurs pas un grand lecteur de romans historiques, et je trouve que c’est une distinction qui n’a pas lieu d’être. Il y a des livres qui sont de la littérature et ceux qui n’en sont pas, des livres où la langue n’est qu’un simple moyen de raconter une histoire et ceux où la langue est une fin. C’est la seule distinction qui devrait valoir et je suis toujours malheureux lorsque je vois, dans des librairies, que mes deux premiers livres sont sur la table des romans historiques. D’ailleurs, dans Evariste, je tenais à un narrateur contemporain. Ici, j’essaie de jouer avec les époques, à Vilnius dans les années 30, avec Gary à Londres, et l’enquête qui est d’aujourd’hui. On rit souvent en vous lisant. L’effet est recherché ? Disons que je le cherche, oui. Il y a une tendance que je ne m’explique pas dans la littérature contemporaine, c’est un goût pour le tragique, le plombant… La plupart des livres où il n’y a pas d’humour m’ennuient. C’est donc très conscient de ma part. J’ai décidé d’écrire après la lecture de Belle du Seigneur et c’est pour moi le livre le plus drôle de la littérature francophone. Vous avez cette phrase, à la fin du roman : « Ecrire. Tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer sous sa loi. » C’est votre ambition ? C’est très présomptueux de dire ça. Lorsqu’on écrit, on est une sorte de démiurge devant sa page ou son ordinateur. On peut, de quelques phrases, faire jaillir tout un monde et c’est une liberté absolue, un champ des possibles infini. Mais la difficulté est de transcender tout ça par le style.