(Note de lecture), Pascal Boulanger, Jusqu’à présent je suis en chemin, par Guillaume Basquin
Par Florence Trocmé
Pascal Boulanger l’a annoncé publiquement, lors d’une lecture d’une anthologie de son œuvre poétique parue en octobre 2018 (Trame : anthologie 1991-2018, éd. Tinbad (1)) à la librairie L’émoi des mots (2): son œuvre poétique est selon lui close avec L’amour là, qui ferme cette anthologie. Que signifie ce retrait (apparent) de la poésie ? La poésie lui serait-elle devenue inadmissible ? Lui seul le sait… Ce qu’on peut tout de suite dire, en revanche, c’est que la forme « carnet » est, bien sûr, la continuation de son œuvre poétique par d’autres moyens : la poésie n’est pas (que) dans le vers, alors que bien souvent le ver est dans la poésie (prose « poétique » découpée n’importe comment en saucisson de soi-disant vers pour « faire poétique » (décoration)). Il est évident que d’immenses œuvres en prose sont toutes entières poésie (suivez mon regard, par ordre d’apparition : Joyce, Céline, Proust, Sollers, Guyotat, Schlechter, etc.). Pourquoi ? Mais parce que « la poésie, c’est le rythme ! » (dixit Pierre Guyotat, quand même l’un des plus grands écrivains français vivants). Détournons l’épigraphe de ce livre empruntée à Hölderlin : Diverses sont les lignes de la poésie ; comme le sont les routes, les formes des montagnes. Ce que deviendra Boulanger après L’amour là, Dieu et ses futurs éditeurs s’en feront l’écho là-bas dans l’Ouest (de la France), dans la paix, l’harmonie et l’éternelle grâce d’une retraite au beau milieu du bocage breton (entre Rennes et Saint-Malo, très exactement). En effet, à la toute fin de ce carnet de notations (nouvelle forme d’écriture annoncée par le poète ce même soir, forme-laboratoire qui lui permet, par exemple, de nous révéler les secrets de fabrication de détournements célèbres de Lautréamont (d’après Pascal) ou de Guy Debord (d’après Charles de Gaulle) — dire que c’est très jouissif est peu dire), le poète annonce où il vivra dorénavant, « parmi ces “gilets jaunes”, qui expriment colère et détresse ». Boulanger a toujours été « en colère » (il suffit de lire son œuvre) ; mais il n’est pourtant jamais tombé dans le piège du « ressentiment contre le temps et son il était » ; au contraire, tous ses écrits sont une continuelle acceptation du présent qui se présente toujours à lui sous forme d’épiphanies : « On peut parler sans prendre la parole (les voluptueux savent le faire) comme on peut habiter poétiquement le monde sans écrire de poèmes. » Réminiscences d’Hölderlin, prince des poètes, toujours… Ce ne sera pas un secret que de dévoiler que le titre de ce volume est emprunté à saint Augustin : « … jusqu’à présent je suis en chemin, je ne suis pas encore parvenu… oublie le passé, ne te retourne pas pour regarder vers lui » : plus court chemin de la poésie à la théologie ? Voire… Et pourquoi des poètes, en temps de détresse ? En un tel temps misérable (mais quelle époque ne le fut pas ?), il semble plus urgent à Boulanger de lancer son corps dans la bataille féroce (« le combat spirituel est aussi violent que la bataille d’homme », aime-t-il à rappeler, comme une scansion, très souvent) qu’est la Guerre du goût ; là, pas de quartier : « Récit plat, complaisant avec le nihilisme (identification pathologique), poésie d’ado rebelle… l’œuvre de Houellebecq est celle d’un domestique au service de l’industrie prospère du nihilisme passif. » Aïe ! Boulanger sait appuyer là où ça fait mal… aussi bien qu’il sait saluer la beauté ; pour preuves les nombreuses notes de lecture enthousiastes et généreuses qui ponctuent son livre. Allez donc y voir par vous-même, si vous ne voulez pas me croire !…
Guillaume Basquin
Pascal Boulanger, Jusqu’à présent je suis en chemin — Carnets : 2016-2018, éd. Tituli, 188 p., 16€
1. Voir la recension qu’en fit le poète-essayiste Claude Minière dans Poezibao :
2. N’eussé-je pas été témoin de cette annonce, qu’elle serait passée à la trappe, comme les signes tracés autrefois sur le sable par un certain Jésus-Christ… Serais-je donc devenu l’un des apôtres de Pascal (ce soir-là, nous ne fumes guère plus de douze…) ? Voire…
On peut aussi lire cette Carte blanche à Claude Minière du lundi 11 février 2019.