Pascal Boulanger l’a annoncé publiquement, lors d’une lecture d’une anthologie de son œuvre poétique parue en octobre 2018 (Trame : anthologie 1991-2018, éd. Tinbad (1)) à la librairie L’émoi des mots (2): son œuvre poétique est selon lui close avec L’amour là, qui ferme cette anthologie. Que signifie ce retrait (apparent) de la poésie ? La poésie lui serait-elle devenue inadmissible ? Lui seul le sait… Ce qu’on peut tout de suite dire, en revanche, c’est que la forme « carnet » est, bien sûr, la continuation de son œuvre poétique par d’autres moyens : la poésie n’est pas (que) dans le vers, alors que bien souvent le ver est dans la poésie (prose « poétique » découpée n’importe comment en saucisson de soi-disant vers pour « faire poétique » (décoration)). Il est évident que d’immenses œuvres en prose sont toutes entières poésie (suivez mon regard, par ordre d’apparition : Joyce, Céline, Proust, Sollers, Guyotat, Schlechter, etc.). Pourquoi ? Mais parce que « la poésie, c’est le rythme ! » (dixit Pierre Guyotat, quand même l’un des plus grands écrivains français vivants). Détournons l’épigraphe de ce livre empruntée à Hölderlin : Diverses sont les lignes de la poésie ; comme le sont les routes, les formes des montagnes. Ce que deviendra Boulanger après L’amour là, Dieu et ses futurs éditeurs s’en feront l’écho là-bas dans l’Ouest (de la France), dans la paix, l’harmonie et l’éternelle grâce d’une retraite au beau milieu du bocage breton (entre Rennes et Saint-Malo, très exactement). En effet, à la toute fin de ce carnet de notations (nouvelle forme d’écriture annoncée par le poète ce même soir, forme-laboratoire qui lui permet, par exemple, de nous révéler les secrets de fabrication de détournements célèbres de Lautréamont (d’après Pascal) ou de Guy Debord (d’après Charles de Gaulle) — dire que c’est très jouissif est peu dire), le poète annonce où il vivra dorénavant, « parmi ces “gilets jaunes”, qui expriment colère et détresse ». Boulanger a toujours été « en colère » (il suffit de lire son œuvre) ; mais il n’est pourtant jamais tombé dans le piège du « ressentiment contre le temps et son il était » ; au contraire, tous ses écrits sont une continuelle acceptation du présent qui se présente toujours à lui sous forme d’épiphanies : « On peut parler sans prendre la parole (les voluptueux savent le faire) comme on peut habiter poétiquement le monde sans écrire de poèmes. » Réminiscences d’Hölderlin, prince des poètes, toujours… Ce ne sera pas un secret que de dévoiler que le titre de ce volume est emprunté à saint Augustin : « … jusqu’à présent je suis en chemin, je ne suis pas encore parvenu… oublie le passé, ne te retourne pas pour regarder vers lui » : plus court chemin de la poésie à la théologie ? Voire… Et pourquoi des poètes, en temps de détresse ? En un tel temps misérable (mais quelle époque ne le fut pas ?), il semble plus urgent à Boulanger de lancer son corps dans la bataille féroce (« le combat spirituel est aussi violent que la bataille d’homme », aime-t-il à rappeler, comme une scansion, très souvent) qu’est la Guerre du goût ; là, pas de quartier : « Récit plat, complaisant avec le nihilisme (identification pathologique), poésie d’ado rebelle… l’œuvre de Houellebecq est celle d’un domestique au service de l’industrie prospère du nihilisme passif. » Aïe ! Boulanger sait appuyer là où ça fait mal… aussi bien qu’il sait saluer la beauté ; pour preuves les nombreuses notes de lecture enthousiastes et généreuses qui ponctuent son livre. Allez donc y voir par vous-même, si vous ne voulez pas me croire !…
Guillaume Basquin
Pascal Boulanger, Jusqu’à présent je suis en chemin — Carnets : 2016-2018, éd. Tituli, 188 p., 16€
1. Voir la recension qu’en fit le poète-essayiste Claude Minière dans Poezibao :
2. N’eussé-je pas été témoin de cette annonce, qu’elle serait passée à la trappe, comme les signes tracés autrefois sur le sable par un certain Jésus-Christ… Serais-je donc devenu l’un des apôtres de Pascal (ce soir-là, nous ne fumes guère plus de douze…) ? Voire…
On peut aussi lire cette Carte blanche à Claude Minière du lundi 11 février 2019.