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Le bon petit écolier

Publié le 16 février 2019 par Chroom

Il était une fois un petit écolier surnommé Lulu. Ses parents travaillaient dur pour nourrir la famille et payer la dette de leur modeste petit appartement. Son papa n'avait pas fait d'études et s'épuisait à l'usine. Sa maman avait réussi à décrocher un petit job administratif à temps partiel mal payé. Le reste du temps, elle vaquait aux tâches ménagères.

Lulu n'était pas très doué à l'école, mais travaillait dur tous les soirs. Il faut dire que ses parents ne lui laissaient pas vraiment le choix, comme si ils souhaitaient lui éviter de vivre la même vie que la leur. Il avait plusieurs potes, avec qui il aurait aimé passer plus de temps. Mais les devoirs et les leçons lui prenaient beaucoup de temps. Trop de temps.

Alors un soir, alors qu'il apprenait par cœur "Le lièvre et la tortue" dans sa chambre, il eut une révélation. Je ne suis peut-être pas très doué se dit-il, mais si je fais comme la tortue, je peux atteindre en premier la ligne d'arrivée. Mais Lulu ne voulait pas devenir premier de classe, car il n'aimait pas l'école. Il avait d'autres projets en tête.

Depuis ce moment, tous les soirs, il consacrait dix minutes de son temps d'étude à s'instruire pour son propre compte. Il lisait sur d'autres sujets, comme le sport, l'actualité, la politique, la santé, la culture, les différents pays du monde, l'économie et la finance. Lentement, mais sûrement, il se constituait une sorte de bibliothèque intérieure, un refuge dans lequel personne ne pouvait entrer.

Grâce à ce monde qui lui était propre, il était capable de créer des voyages virtuels, sur d'autres continents, dans des mondes imaginaires ou encore dans d'autres époques. Plus il apprenait, plus devenait capable de rêver et de relativiser les tracasseries scolaires. En même temps, il devenait très fort sur certains sujets, y compris à l'école, même si ce n'était pas son but premier.

Rapidement, les dix minutes quotidiennes ne suffirent plus. Lulu augmenta à quinze minutes, puis vingt... Il passait de plus en plus de temps à lire sur plein de sujets différents et de moins en moins sur ses devoirs. Il encaissa de très mauvaises notes sur certaines branches, qu'il parvenait très facilement à compenser grâce à d'autres. Ses parents hésitaient en permanence entre réprimandes et félicitations. En fin de compte ils étaient fier de leur petit Lulu, car par moments, il leur paraissait être un génie.

Lulu finit sa scolarité sans trop de problèmes. Il était loin d'être le premier de classe, mais excellait dans certains domaines. Il passa quelques années à l'université, qu'il apprécia énormément. Le monde académique était un tremplin pour le monde imaginaire de Lulu, grâce non seulement aux connaissances qui y étaient enseignées, mais surtout par l'énorme indépendance dont il pouvait bénéficier.

Et puis arriva le grand jour où Lulu entra dans la vie active. Au début, c'était un nouveau terrain de jeu, avec une foule de choses à apprendre et des nouvelles têtes à connaître. Mais très vite il se rendit compte qu'il ne mettait à profit qu'une petite partie de ses nombreux savoirs . Non seulement il commençait à se lasser, mais surtout il avait l'impression que ses connaissances et son énergie lui étaient dérobés par son employeur. Alors qu'il avait étudié jusqu'ici pour entretenir son monde virtuel, ses compétences étaient ici exploitées pour entretenir l'univers d'une autre personne. Lulu n'était plus heureux.

Alors, comme vingt années plus tôt, il se mit à étudier tous les soirs durant dix minutes. Peu-à-peu, certaines connaissances oubliées resurgirent du passé, notamment l'économie et la finance. Même s'il n'en avait pas fait sa profession, Lulu avait toujours considéré ces domaines avec un certain intérêt, sans trop savoir pourquoi. Alors, les dix minutes par soir passèrent à quinze, puis vingt...  Plus il lisait, plus son travail lui paraissait ennuyeux.

Il commença à épargner, puis à investir. Au début, ce n'était pas grand chose, l'histoire de quelques centaines de francs. Lulu se rappelait néanmoins toujours de la fable de La Fontaine. Son capital se mit à grossir, lentement, mais sûrement. Quand il était à l'école, plus il s'instruisait pour son compte, moins il travaillait ses devoirs. Maintenant qu'il était dans la vie active, plus il s'enrichissait, plus il diminuait son temps de travail. Son taux d'activité se réduisait comme un peau de chagrin. Les collègues autour de lui commençaient à se poser des questions.

Arrivé à 50 ans, Lulu annonça à tout le monde qu'il prenait sa retraite. Les gens le regardèrent avec un mélange d'incrédulité, de moquerie et de consternation. J'ai passé ma vie à étudier et travailler pour les autres dit-il, maintenant je vais consacrer le reste de mon existence à prendre du temps pour moi et mes proches. Derrière les sourires de façade, dans son dos, tout le monde se disait qu'il était devenu fou.

Pourtant, ses parents avaient raison, le bon petit écolier était en fait un génie. Il venait de passer en premier la ligne d'arrivée.


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