Atelier d'écriture

Publié le 15 février 2019 par Alexcessif

"- Tu devrais ouvrir un resto, écrire, monter un orchestre…"
Vous l'avez entendu, cette petite phrase qui caresse votre vanité à la fin d’un repas quand les invités ont vidés les assiettes, agrées de sentiment distingués et d’applauses votre compliment pour l’anniversaire d'un pote avant de gratter " Allumer le feueuue" prés de la cheminée !
Chanter, écrire, etc …
Bien que le même vocable désigne à la fois Pavarotti et Johnny Halliday, on peut légitimement penser qu’il y a un delta entre la tessiture du premier et l’anomalie acoustique du second.
À l’écrit, c’est pareil.
Ecriture s’entend littérature (évitez la vanne éculée "lis tes ratures", je l’ai inauguré sur mon blog en 2012 sans penser à mettre un copyright) et en avant sur le sentier de la vanité
Ici et maintenant (évitez le hic et nunc, les latinistes sont tous morts) nous parlerons du versant noble de l’écriture. Celle qui va du calame au clavier, de l’incunable au prix Goncourt, en déclinant parfois, de Céline à Musso. "Le voyage au bout de la nuit" ou "Voyage au bout de l’enfer".
Première erreur,vous en ferez d'autres: dénigrer ceux qui réussissent n'est pas l'expression subtile de votre goût raffiné, c'est le dédain des ratés et il va falloir un décodeur pour vous décrypter.
Sans talent, nom, réseau, ni notoriété, il va falloir faire son trou sans creuser sa tombe. Le cimetière du ridicule n’est pas loin. Un pseudo sera le trope, avec la mission subliminale d’orienter le lecteur, qui pour l’instant n’est qu’un fantôme. Ainsi on règle son compte à la vanité et l’on évite de faire honte à sa famille.
Là, il s’agit d’être propre, tel un lord anglais qui s’habille pour dîner dans la brousse avec le même dress code que pour convaincre le vigile à l’entrée de Buckingham.
Vous n’aurez pas le droit de sortir des éléments de langage officiels, ni abuser des mots rares qui ne feraient que vous dénoncez à la patrouille de la prétention. A l’heure de la facilité d’un clic sur Wikipédia, vous n’aurez droit à aucune indulgence ni effort du lecteur prêt se détourner comme un cycliste parisien vers le funiculaire au pied de la Butte. Votre fantôme volatile n’acceptera votre style et votre vocabulaire qu’une fois officialisés par trois T chez Télérama, à minima. Ne rêvez surtout pas d’un passage dans les poubelles d’Ardisson ou dans la chambre des tortures de Ruquier !
Soignez l’orthographe, la syntaxe, la ponctuation, la concordance des temps, les accords de participe et le vocabulaire avec modération. Pour le récit, le passé simple s’imposera et la troisième personne sera préférable (de lapin). Qu’est ce que j’ai dis à propos de calembours et de digressions? Citer Ardisson et Ruquier n'est que le marqueur de votre aigreur.
Exemple :
"D’un niveau autre que la lettre au Père Noël, même si l’on peut gager un billet sans risque sur celle de l’enfant Péguy Charles sera plus élégante que la lettre du petit Levy Marc et pas non plus celui de la rédaction de la liste de courses gribouillée entre le Lidl, la chambre louée à l’heure de "La Cage aux Rossignols" et la sortie des écoles du petit dernier."
Avant de poursuivre sur le style, on peut d’ores et déjà tirer quelques observations de cet exemple :
La syntaxe compliquée de la seconde phrase.
Il eût mieux valu écrire : "... même si l’on peut gager que celle de l’enfant Péguy Charles sera plus élégante que la missive du petit Levy Marc ... "
que
"… même si l’on peut gager un billet sans risque sur celle de l’enfant Péguy Charles qui sera plus élégante que la lettre du petit Levy Marc …"
L’auteur de l’exemple deux a usé du synonyme "missive" pourtant désuet, pour éviter la répétition de "lettre" suivant le pronom relatif "que" et la figure stylistique du prénom derrière le nom, Proust Marcel, Lévy Marc, incite le lecteur à se projeter au temps scolaire du rite matinal de l’appel par ordre alphabétique. L’auteur du premier essai, maladroit, rate son objectif sur l’allusion au poker avec son disgracieux: "gager un billet sans risque" mais démontre de l’habileté sur l’évocation de "l’appel" par le patronyme qui donne envie d’aller plus loin. Vous n’avez peut-être perdu personne en route mais pensez à trancher dans le vif…
…Et a supprimer la partie inutile :
"… et pas non plus celui de la rédaction de la liste de courses gribouillée entre le Lidl, la chambre louée à l’heure de "La Cage aux Rossignols" et la sortie des écoles du petit dernier."
Anacoluthe ! Vous changer de thème à l’intérieur du paragraphe et votre lecteur, qui prenait corps, remet son suaire fourvoyé par votre allusion lourdaude et obsessionnelle à l’adultère. Vous aurez immanquablement contre vous le féminisme qui n’aime pas les délateurs (N’usez pas du mot "balance" ailleurs que dans un polar)
Inégal, donc mais cela permet d’aborder la partie subjective : le style.
Chaque auteur en possède un, à charge pour lui de n’en pas abuser au risque de passer de la singularité à l’excentricité. "Un style, c’est une obsession" dit Frédéric Beigbeder.
Au passage, une citation d’auteur est un code qui doit orienter votre lecteur, pas une indication sur votre culture, inutile sauf pour votre ego, contre-productive pour la compréhension de votre narration.
De la même façon, l’étalage des mots compliqués ne doit pas perdre votre lecteur. Il n’est pas censé lire votre CV. En place de "calame" écrivez "plume" et remplacez "incunable" par "bible". Votre lecteur ferait l’effort de chercher ce qu’un auteur reconnu a voulu lui transmettre mais ne comptez pas sur sa curiosité si vous êtes un inconnu célèbre seulement par votre nom sur une boîte à lettres dans votre entrée d’immeuble.
Si l’évocation de "La Cage aux Rossignols" vous procure un frisson ému dans la moelle épinière, il n’évoquera rien de cette délicieuse attente dans le couloir pendant que la femme de chambre change les draps entre deux services avec votre conquête rougissante pendant cette romantique opération, s’il n’est pas voisin de l’avenue Thiers et trentenaire. Trop de souvenirs personnels, c'est ...personnel, justement. De toutes façons vous avez perdu votre lectrice étalée et confuse trébuchant sur ce déplorable calembour du râble de lapin et il est trop tard pour vous dire de ne pas faire le malin avec les anglicismes car, chutant comme elle, vous pourriez tomber sur une anglophone ou phobe.
Profitez de la magie de l’écriture en vous donnant le beau rôle et, sans hésitation, signez votre polar Ikéa: Sergius H. Pradowson, en jouant la carte de l’écrivain mystérieux autant que nordique. Vous gagnerez en crédibilité et vous pourrez compter sur le snobisme du naïf convaincu de découvrir un auteur exotique et de le partager avec ses semblables.
Un dernier conseil : pensez à la chute ! Si possible en la liant avec le préambule s’il est un tant soi peu énigmatique.
En concluant sur le sujet du pseudo, votre lecteur aura l’impression de résoudre une énigme, celle de cette curiosité du début : l’angle d’attaque par le pseudo et la chanson pour arriver à … l’écriture.
Et puis, maintenant que l’on se connait, l’incipit d’origine était plus vigoureux :
"Ah mon ami, on t’en a fait des pipes pour t’inciter à sortir de la tranchée quand tu as réussis une pizza, écris trois lignes, et massacrés " Money for nothing !"
J’ai bien fait, non ?

Je vous laisse avec vos démons