Récemment invité par une association amie à introduire une conférence d'Alain Badiou sur le thème de "la jeunesse", conférence qui fut finalement annulée pour des raisons personnelles du conférencier, j'avais écrit m'adressant au philosophe-militant, très éloigné théoriquement de Roger Garaudy, un petit texte dont je n'hésite pas à dire qu'il était une sorte d'hommage, texte que je vous fait aujourd'hui partager. Car les gens qui pensent librement méritent de se rencontrer par-delà les aléas du temps et de la philosophie de comptoir.
Bonjour Alain Badiou, vous avez été à plusieurs reprises
l’invité des Amis du Temps des Cerises
puis des Amis de l’Humanité,
associations partenaires, toutes deux créées et animées par André Bellerose.
Aujourd’hui, c’est en tant que membre de ces deux associations et comme lecteur
bienveillant et critique, que j’ai l’agréable devoir de vous introduire. Je dis
« de vous introduire » parce que, n’étant ni philosophe ni
journaliste, vous présenter en deux
minutes sans aligner les banalités serait parfaitement superficiel et au fond sans
intérêt.
Pour lever un coin du
voile nommé Badiou, je convoquerai donc plutôt quelques-unes de vos
fréquentations personnelles les plus célèbres, car ne dit-on pas « dis moi
qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es » ?
Et d’abord, ce qui en dit aussi beaucoup, qui ne fréquentez-vous pas ?
Vous ne fréquentez pas les salons à la mode que sont les plateaux des grandes
chaînes de télévision, d’autant qu’en sont désormais écartés les rares
animateurs frondeurs. Vous n’êtes pas non plus dans les arcanes des pouvoirs, à
la recherche des faveurs qu’ils accordent aux courtisans. Vous ne fréquentez
pas ces « nouveaux » philosophes et moralistes qui, à longueur de
livres prétendument « grand public » et de chroniques écrites,
radiophoniques ou télévisuelles, nous prônent l’obéissance à l’autorité de
fait, autorité qui au bout du compte est celle de la domination mondiale du
capital et de sa traduction politique: la démocratie de marché. Non,
ceux-ci vous ne les fréquentez pas.
Arrivent maintenant quelques uns de vos amis, ou de vos
maîtres, parfois même adversaires respectables mais que vous aimez tous,
ainsi que vous le proclamez dans votre « Petit Panthéon portatif ». De Lacan à Derrida, de Sartre à
Foucault, d’Althusser à Deleuze, de Lacoue-Labarthe à Natacha Michel, ils vous
ont préservé de ce que vous nommez les « potions qu’on veut nous faire
avaler ». Potions dont, en héritier fidèle, vous contribuez à votre tour à
nous préserver aujourd’hui.
Derrière ces penseurs, j’aperçois des visages mondialement connus: Mao, Marx, Platon, par
exemple, trois communistes, mais aucun réductible aux deux autres, et vous-même
irréductible aux trois. C’est que l’idée communiste, vous vous colletez
avec…depuis toujours peut-être. Sans remonter à
Mai 68 – ce que vous faîtes pourtant dans ce récent petit livre « On a raison de se révolter »
- sans remonter donc à cette période, vous interrogez depuis longtemps le
communisme tel qu’il fût dans le but d’inventer le communisme tel qu’il sera.
En tout cas vous y apportez votre contribution. Non en prophète évidemment,
mais en militant.
Au milieu des années 80, bien avant donc cet « Eloge de la politique »
paru en 2017, vous écriviez : « Le marxisme achève sa première
existence…Nous devons refaire le
Manifeste ». Pas refaire un texte - encore que ! - mais rebâtir
une politique populaire. Pas revenir aux anciennes formules, mais en faire
vivre de nouvelles. Et toujours, pas seulement interpréter le monde - pour
reprendre la formule de Marx - mais le changer.
Fidélité à une visée émancipatrice, c’est la vraie politique. Et, pour
chacun et chacune d’entre nous, et surtout pour la jeunesse, c’est « La vraie vie » comme l’indique
votre ouvrage. La vraie vie qui ne va pas « de soi » et exige
apprentissage et prise de risques.
Vous avez fait un « Eloge des mathématiques » dont je ne vous tiens
pas rigueur, un « Eloge du Théâtre » (vous êtes aussi un auteur de
théâtre), puis un « Eloge de l’amour » et cet « Eloge de la
politique » écrit avec Aude Lancelin, nous espérons donc de vous
aujourd’hui un « Eloge de la jeunesse ». De la jeunesse qui, plus que
de toute autre chose, a besoin, dans les brouillards du temps présent, de découvrir des chemins vers la vérité. Lui
proposer ces chemins, n’est-ce pas la tâche principale, sinon unique, du
philosophe en lutte contre les nouveaux sophistes ?
Car la jeunesse doit être la première de nos préoccupations.
J'enfonce, apparemment du moins, une porte ouverte, mais en compagnie
du Président Mao, excusez du peu !, à qui j’emprunte ma conclusion : «
Vous les jeunes, vous êtes dynamiques, en plein épanouissement, comme le soleil
à huit ou neuf heures du matin. C’est en vous que réside l’espoir ».
Alain Raynaud
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