Jacques le Scanff publie deux livres : Son ombre au bleu de la nuit, Le préau des collines et Le pitre, ses mots issus d'un ciel de suie, dessins, peintures et texte de Jacques Le Scanff, L'Antichambre du Préau.
Un paradis de fleurs
Loin s'étend le regard tissé la terre, les fleurs, leurs tiges vertes et leurs corolles. Il marche lentement, chaque pas à l'oblique pour n'écraser que peu. Rouge et grenat, strident du vert et, loin, les barres bleues des cols et des monts.
Serrés contre les talus, armés, ardents, les coquelicots. Puis ces trop petites fleurs dont il ne connaît pas le nom. Il les nomme cependant. Il les chante ; on dirait que l'on entend craline ou croalinea. Il a trop peu de voix. Il ne sait lui-même s'entendre, ses lèvres peu ouvertes laissent passer si peu de son.
La délie, toucher la main du désir.
Aussi, plus loin, abritée au droit d'un mur de pierres sèches, de grandes marguerites brunes jusqu'à leurs fins serties de légers bourgeons rouges.
Les terres basses et humides près du marais, absentes à la lumière. Leurs ombres sourdes piquées de tiges courbées qui semblent les coudre au miroir noir de l'eau. L'odeur lourde est comme un toit cernant mille bêtes infimes, lentes ou vives.
Elles jouent en cercle, au gré des hasards, dessinent une fine graphie née d'une loi cachée. Lente lumière sur le marbre poli, les yeux des créatures des dessous à la lumière, insoumis, enfouies, y perlent ; seuls des yeux vierges et blancs les discernent.
Conte :
il veut croire à nouveau, dire l'autrefois, enfant enfoui dans la vase, ceint d'algues, que les ronces couronnent !
Il bénit les crapauds qu'il gobe, sachant faire accroire aux eaux viciées, aux bêtes qui regardent et témoigneront aussi de ses mœurs insolites.
Temps sans rêve, tant le réel bourgeonnant dans ses juvéniles et chastes mains dépassait les anciennes fictions.
Mare dans la forêt du château, cachés derrière la glacière, ses pierres profondes, tombeau oublié des viandes et des fruits des maîtres, libres, là nous roulions dans la boue : des capes de limons ornées de lierres longs et roux nous berçaient d'extase en extase... de courses en sauts, hachés de rire et de coups.
Princes des eaux de boue.
Princes de l'eau.
Inventer des sabirs et casser la langue sans cesser de l'aimer. Fouir des lexiques, afin de l'enrichir et décrire au-delà de la prudence l'accumulation des déraisons. De ces lignes jointes ne naissent pas de formes lisibles ni d'objets identifiables. Il n'y a là que des emmêlements, des torsions, des liasses et des gerbes des phrases. Il est difficile d'en lire les désirs.
Sur la table du rouge du jaune et du bleu, des couleurs pures, des couleurs profondes, vulgaires ? Sans doute. Il les regarde et n'ose s'en saisir ; trop lumineuses et si riches, il lui faut dans les bottes d'ombres chercher des ocres, des terres, des terre-de-Sienne qu'il osera manier car elles se glissent comme lui à l'abri des murs et s'effacent s'il le faut, se marient sans gêne excessive aux ombres, aux lumières.
II n'a pas de recettes, il ne détient pas de secret ni de tour de main ; il est plutôt malhabile. Ce qu'il cherche il ne sait le dire, ni s'il le trouve. Il marche de guingois dans la forêt des formes, heureux de ses doutes. Jeune, il rêvait de dessiner des images criardes pour décrire des crimes sanglants. Des images à offrir aux errants. Des images populaires pour ceux qui partent sur les chemins ?
Envers les gens de rien, il a failli.
Jacques le Scanff, Le pitre, ses mots issus d'un ciel de suie, dessins, peintures et texte de Jacques Le Scanff, L'Antichambre du Préau, 2018, 15€.