ce doit être un soleil horrible, ou
autre chose, ou n’importe quoi…
Que sais-je ! Manquent les mots,
manque la candeur, manque la poésie
lorsque le sang pleure, pleure !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Si seulement il m’était donné de palper
les ombres, d’entendre des pas,
de dire « bonne nuit » à celui
qui promènerait son chien,
je regarderais la lune, je dirais son
étrange lactescence, je trébucherais
sur des pierres au hasard, comme ça se fait.
Mais il y a quelque chose qui déchire la peau,
une furie aveugle
qui coule dans mes veines.
Je veux sortir ! Cerbère de l’âme :
Laisse, laisse-moi traverser ton sourire !
Je pourrais être si heureuse cette nuit !
Il reste encore des rêveries tardives.
Et tant de livres ! Tant de lumières !
Et mes années si brèves ! Pourquoi pas ?
La mort est loin. Elle ne me regarde pas.
Tant de vie Seigneur !
Pourquoi tant de vie ?
*
Noche
Quoi, toujours ? Entre moi sans cesse et le bonheur !
G. de Nerval
Tal vez esta noche no es noche,
debe ser un sol horrendo, o
lo otro, o cualquier cosa.
¡Qué sé yo! Faltan palabras,
falta candor, falta poesía
cuando la sangre llora y llora!
¡Pudiera ser tan feliz esta noche!
Si sólo me fuera dado palpar
las sombras, oír pasos,
decir “buenas noches” a cualquiera
que pasease a su perro,
miraría la luna, dijera su
extraña lactescencia tropezaría
con piedras al azar, como se hace.
Pero hay algo que rompe la piel,
una ciega furia
que corre por mis venas.
¡Quiero salir! Cancerbero del alma.
¡Deja, déjame traspasar tu sonrisa!
¡Pudiera ser tan feliz esta noche!
Aún quedan ensueños rezagados.
¡Y tantos libros! ¡Y tantas luces
¡Y mis pocos años! ¿Por qué no?
La muerte está lejana. No me mira.
¡Tanta vida, Señor!
¿Para qué tanta vida?
***
Alejandra Pizarnik (1936–1972) – La última inocencia (1956) – La dernière innocence