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Alexandria Marzano-Lesnevich : LÂ'empreinte

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

L’empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich   5/5(10-02-2019)

L'empreinte (471 pages) est disponible depuis le 24 janvier 2019 aux Editions Sonatine (traduction :Héloïse Esquié).

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L'histoire (éditeur) :

Etudiante en droit à Harvard, Alexandria Marzano-Lesnevich est une farouche opposante à la peine de mort. Jusqu’au jour où son chemin croise celui d’un tueur emprisonné en Louisiane, Rick Langley, dont la confession l’épouvante et ébranle toutes ses convictions. Pour elle, cela ne fait aucun doute : cet homme doit être exécuté. Bouleversée par cette réaction viscérale, Alexandria ne va pas tarder à prendre conscience de son origine en découvrant un lien tout à fait inattendu entre son passé, un secret de famille et cette terrible affaire qui réveille en elle des sentiments enfouis. Elle n’aura alors cesse d’enquêter inlassablement sur les raisons profondes qui ont conduit Langley à commettre ce crime épouvantable. Dans la lignée de séries documentaires comme Making a Murderer, ce récit au croisement du thriller, de l’autobiographie et du journalisme d’investigation, montre clairement combien la loi est quelque chose d’éminemment subjectif, la vérité étant toujours plus complexe et dérangeante que ce que l’on imagine. Aussi troublant que déchirant.

Mon avis :

Quel livre !

En 2003, à 25 ans, en première année de fac de droit à Harvard, Alexandria Marzano-Lesnevich effectue un stage à la Nouvelle-Orléans dans un cabinet d’avocats représentant des individus accusés de meurtre et luttant contre la peine de mort. Elle y visionne la vidéo d’un homme condamné à mort il y a 9 ans puis à perpétuité lors d’un second procès. Ce jour-là, il y a 12 ans, devant l’écran, tout a basculé pour Alexandria…

« Cette vidéo m’a amenée à réexaminer tout ce que je croyais, non seulement au sujet du droit, mais au sujet de ma famille et de mon passé. » page 18

Cette vidéo est celle de Ricky Langley, accusé du meurtre (et davantage encore) de Jeremy Guillory en 1992, un petit garçon de 6 ans, fils unique de Lorilei…

« C’est Ricky qui m’a fait entrer dans cette histoire. C’est à lui que je n’ai cessé de penser, lui que j’ai poursuivi, pour essayer de comprendre mais le fait d’être là, et ce qui s’est passé l’autre nuit au lit avec Janna dans le Massachusetts, me fait comprendre qu’il me faut recommencer pour Jeremy. C’est lui qui a porté le crime de Ricky dans son corps. » Page 296

« Qui sait pourquoi le passé transparaît aux moments où il transparaît ; qui sait pourquoi un secret devient soudain trop lourd à porter ? (…)

Peut-être que c’est le temps qui laisse entrer le passé. »

Page 163

L’empreinte est un travail méticuleux de reconstitution de l’affaire mais d’avantage encore celui de la vie de Ricky et, à travers elle, en parallèle, Alexandria Marzano-Lesnevich expose sa propre histoire, comme si un lien invisible mais tangible les associait. Ce lien : le poids des non-dits, du passé, des secrets. Comme si le passé pouvait justifier les actes futurs. C’est là-dedans qu’Alexandria trouve un écho à sa propre histoire : les blessures de l’enfance orientant d’une certaine manière notre destinée.

« Dans l’escalier, je me suis figée. Ma famille avait toujours gardé le silence sur les sévices. Mais personne n’avait jamais sous-entendu qu’ils ne s’étaient pas produits.

Mon père a continué à parler. Cet instant qui avait tout changé en moi n’avais rien changé pour lui. » Page 193

« Je suis immédiatement frappée par cette idée, que l’avenir était secrètement en germe dans le présent, le présent secrètement en germe dans le passé. » Page 231

L’empreinte est un titre très fort, percutant et absolument passionnant. En racontant l’histoire de Ricky avec autant de précisions (elle s’appuie fortement sur les faits établis, les documents liés à l’enquête et au procès, les dossiers médicaux, et choisit de ne pas changer les noms, d’exposer avec juste ce qu’il faut de descriptions personnelles issues de ses souvenirs et son imagination – des détails sans grande importance mais revêtant la narration d’un caractère plus agréable, visuel et immergeant), la sienne avec autant de franchise, une certaine pudeur et quelques notes d’humour salutaires, elle développe là un récit foisonnant et captivant.

C’est un livre difficile parce qu’il est question de meurtre d’enfant et de sévices mais la manière de développer, exposer et entremêler l’ensemble apporte une empathie incroyable, quand bien même sa narration semble détachée de premier abord (que l’on comprend totalement et accepte de par son parcours professionnel et personnel). Il y a là au final tellement d’émotions, d’abord par la teneur des faits et parce qu’Alexandria est partout, terrible, poignante, touchante.

« Ce n’est pas du tout mon premier baiser. Avant lui mouillé dans ma bouche, il y a le goût de mon grand-père. » Page 201

On a beau être dans un récit, l’écriture n’a pourtant étonnement pas grand-chose de journalistique (si ce n’est ce rappel aux sources régulier), descriptive effectivement et précise, elle possède néanmoins un aspect poétique et humain étonnant. Et puis, l’utilisation du présent, la fluidité de l’écriture et la justesse du ton rendent l’ensemble coulant et addictif. Quand bien même on est très loin de la fiction

« La nuit de Louisiane est grosse de cigales et d’étoiles, et l’intervention humaine est si bien mise en veille que le champ des possibles s’étire devant eux. L’arrière de la voiture est le genre d’espace clos qui a donné à Ricky une impression de sécurité sa vie durant. Ses amis sont à ses côtés. Il a des amis. Lorsque la bouteille lui revient, lorsqu’il sent le goût sucré et collant à ses lèvres, il s’enhardit. Il ne sait pas que ses amis auront avec les enfant le même problème que lui. Il ne saurait définir le signe distinctif, le savoir caché qui les réunit. Il lui faut laisser l’alcool faire le travail. » Page 169

D’autre part si c’est parfois déstabilisant de passer d’un contexte (le sien) à l’autre (à lui), par la teneur des propos, le passage régulier se fait avec beaucoup d’intelligence. Et, grâce à cette connexion constante, elle réussit à apporter un part profonde d’humanité qui n’aurait pas trouver naturellement sa place sans, sans jamais faire basculer son récit dans le pathos démesuré (bien au contraire).

Alexandria Marzano-Lesnevich donne aussi là l’occasion de se poser quelques questions légitimes, de s’interroger sur ce qu’est l’identité d’un homme (et, ce qui la forge), sur la peine de mort, sur le pardon et la résilience.

« Couchée dans mon lit, à la lueur jeune de la lampe poupée, je suis seule, mais je sens les mains de mon grand-père se faufiler sur ma peau. Il semble donc logique que mon corps souffre. Il n’y a aucun moyen d’échapper aux souvenirs, pas lorsqu’ils viennent de l’intérieur. »  Page 174

« Qui sait comment chacun trouve sa place dans une famille ? Les rôles sont-ils assignés ou choisis ? Et au demeurant, même entre frères et sœurs – même entre jumeaux-, on ne grandit pas dans la même famille. On n’a pas le même passé. Mais pendant que je me débats en tous sens pour y échapper – au passé-, mon frère le porte en étendard. » Page 184

« Sommes-nous déjà ceux que nous serons toujours ?

Pendant un instant, peut-être existe-t-il une autre possibilité. Une occasion ? Un monde dans lequel je lui dis tout en cet instant et oui, ça ferait des étincelles, mais après ces étincelles, nous pourrions en discuter. Mes parents apprendraient ce fardeau que je porte en moi. Mon frère apprendrait ce secret qui a fait de nous des étrangers, et la raison pour laquelle je semble si furieuse contre cette même famille qu’il chérit tant. » Page 185

« Mais souvent, les différences superficielles semblent refléter une vérité plus profonde : notre façon de faire l’expérience du temps. Pour moi, il y a toujours plusieurs niveaux qui se superposent. Elle est dans l’instant. Cela ne fait pas longtemps que nous sommes ensemble – seulement un peu plus de six mois – mais ce que nous nous apportons, par un certain côté, c’est la possibilité de voir les choses différemment. » Page 292

L’empreinte est donc un sacré récit. A la frontière du roman policier (l’intrigue liée à l’affaire du petit Jeremy Guillory reste déconcertante sur certains poins), du récit journalistique et de la biographie, il jongle avec les réflexions et les émotions, tout en se lisant de manière aussi fluide qu’un roman.


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