Partager la publication "[Critique] LA FAVORITE"
Note:Titre original : The Favourite
Origines : États-Unis/Grande-Bretagne/Irlande
Réalisateur : Yórgos Lánthimos
Distribution : Olivia Colman, Emma Stone, Rachel Weisz, Nicholas Hoult, Joe Alwyn, James Smith, Mark Gatiss…
Genre : Historique/Drame/Comédie
Date de sortie : 6 février 2019
Le Pitch :
Angleterre, début du XVIIIème siècle : alors que le pays s’est engagé dans une guerre ruineuse avec la France, la reine Anne se débat avec d’innombrables problèmes de santé, confiant la régence du royaume à sa favorite, Lady Sarah. Quand la cousine de cette dernière, Abigail Hill, une ancienne dame tombée en disgrâce suite à la banqueroute de sa famille, débarque à la cour pour trouver du travail, Sarah fait d’elle sa femme de chambre. Mais peu à peu, alors que Sarah ne se doute de rien, Abigail parvient à gagner les faveurs de la reine. Au point d’initier une guerre avec sa cousine, où tous les coups sont permis. Histoire vraie…
La Critique de La Favorite :
Le réalisateur du remarqué The Lobster revient à la charge un an après la sortie de Mise à mort du cerf sacré et s’intéresse à l’histoire (vraie) de la rivalité entre les deux favorites de la reine Anne. Une rivalité qui eut par ailleurs d’importantes répercutions sur la politique de l’époque, les favorites en question profitant du manque de clairvoyance et du caractère instable de la souveraine pour placer leurs pions sur l’échiquier du pouvoir en s’enrichissant au passage… Cela dit, que faut le film en lui-même ?
Dans les petits papiers de la reine
Bon, il faut tout de même préciser que l’histoire exacte, Yórgos Lánthimos s’en balance un peu. La Favorite n’est pas un film d’une rigueur historique exceptionnelle. Là est aussi son intérêt car ici, le réalisateur et les scénaristes exploitent plutôt leur postulat pour nous offrir un jeu de massacre aussi savoureux que souvent très cruel et donc sans pitié. Et comme pour enfoncer le clou, Yórgos Lánthimos rejette toute forme d’académisme trop plombant via une mise en scène toute en contre-plongée et autres partis-pris audacieux. Même la photographie ne tombe pas dans le panneau et contribue à différencier La Favorite d’autres films du même genre. Paradoxalement, alors que la démarche consiste à aller à contre-courant, le film ramasse quand même son lot de prix et de nominations (les Oscars ne sont pas encore passés par là au moment de la publication de cet article), prouvant au passage que quand on sait ce qu’on fait et où on va, avec les compétences derrière, on peut tout à fait déborder du cadre et ne pas s’aliéner une grande partie de l’establishment, Bref, La Favorite n’a donc que faire du classicisme feutré et fonce dans le tas avec une jubilation appréciable, ne se privant de rien pour arriver à ses fins. Autant dire qu’on est loin du romantisme pop et anachronique du Marie-Antoinette de Sofia Coppola.
Jeu de massacre
Surprenant, La Favorite l’est donc assurément. Au niveau de sa forme mais aussi de son fond. Surprenante, Emma Stone l’est également, elle qui prouve une adaptabilité dingue en prêtant ses traits, sans retenue, à la jeune Abigail Hill, la favorite en devenir de la reine, face à une Rachel Weisz impériale dans les robes de l’autoritaire Lady Sarah. Deux comédiennes au firmament, engagées dans des luttes intestines au sein des appartements feutrés du palais royal. Un combat pour les faveurs de la reine mais aussi pour le pouvoir, dont les coups bas (et hauts) font brillamment écho, thématiquement parlant, à la guerre entre les Anglais et les Français en toile de fond. Et la reine dans tout ça ? Et bien elle est unique. Merci à Olivia Colman, qui trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Impétueuse, autoritaire, complètement à la ramasse, souffreteuse, colérique, en détresse, faible mais tenace, la reine Anne est le pivot de cette histoire relativement délirante. L’axe autour duquel tournent tous les autres protagonistes. Le visage d’un pouvoir vacillant et pour Yórgos Lánthimos, une métaphore du pouvoir tout court lui qui a manifestement voulu conférer à son film un côté très actuel. Olivia Colman donc, est fabuleuse. À quelques mois d’à nouveau interpréter une reine dans la série The Crown, elle trouve ici l’occasion de pousser tous les compteurs dans le rouge et, sans pour autant en faire des tonnes, nous livre une performance à proprement parler impressionnante. Et si au fond, La Favorite se focalise bien souvent sur le duel que se livrent Emma Stone et Rachel Weisz, c’est bien Olivia Colman qui reste au premier plan. Non seulement parce que son personnage cristallise l’attention, mais aussi car c’est elle qui justifie tous les choix et les actions des favorites.
Bas les masques
La Favorite est un film de costumes pour les gens qui n’aiment pas les films de costumes. Une fable singulière sur le pouvoir. Dans sa violence, sa cruauté et son aspect souvent dérangeant. Un tour de force visuel. Un film parfois un peu opaque certes mais néanmoins parfaitement maîtrisé et très pertinent dans ses nombreux niveaux de lecture. Une partition en or pour des actrices parfaites dans leurs rôles respectifs. Actrices mais pas que car Nicholas Hoult est lui aussi particulièrement savoureux dans les petits souliers du chef de l’opposition. Aux hommes d’ailleurs, Yórgos Lánthimos ne leur fait pas de cadeau. Globalement, ils sont hors-jeu. À la botte du pouvoir et donc des femmes qui le symbolisent et l’exercent. Une preuve de la complexité du discours que le film porte. Sans avoir trop l’air de s’en soucier, parfois avec détachement. Une autre de ses nombreuses qualités…
En Bref…
Un peu opaque, La Favorite n’en reste pas moins impressionnant dans sa façon d’aborder cet épisode méconnu de l’histoire britannique pour en faire une sorte de métaphore à tiroirs à la puissance évocatrice certaine. Souvent drôle, jubilatoire sur bien des plans, mais aussi cruel et dérangeant, La Favorite donne aussi l’occasion d’assister à de mémorables numéros d’acteurs. Et ça, ce serait dommage de s’en priver.
@ Gilles Rolland