Denis robert abandonne au seizième round
Vous connaissez Denis Robert ? Et Clearstream, cela vous dit quelque
chose ? Si c’est le cas, vous vous demandez pourquoi Lettrasso consacre
un article à une histoire très éloignée du monde associatif... Pour
beaucoup, dont nous sommes, Denis Robert n’est pas seulement un
journaliste indépendant et courageux, il est un symbole. Le symbole
d’une liberté de la presse réellement mise en cause, d’une liberté
d’expression réduite ”aux aguets”. Veuillez trouver ci-dessous le texte
intégral de sa dernière déclaration.
Ce texte est ma dernière intervention publique à propos de Clearstream.
Vous connaissez Denis Robert ? Et Clearstream, cela vous
dit quelque chose ? Si c'est le cas, vous vous demandez pourquoi
Lettrasso consacre un article à une histoire très éloignée du monde
associatif... Pour beaucoup, dont nous sommes, Denis Robert n'est pas
seulement un journaliste indépendant et courageux, il est un symbole.
Le symbole d'une liberté de la presse réellement mise en cause, d'une
liberté d'expression réduite "aux aguets". Veuillez trouver ci-dessous
le texte intégral de sa dernière déclaration.
Ce texte est ma dernière intervention publique à propos de
Clearstream. J'ai pris la décision de refuser toute interview liée à la
chambre de compensation luxembourgeoise et de ne plus l'évoquer sur
Internet, dans les journaux, à la radio, à la télévision.
Cette décision est douloureuse mais réfléchie. Je la prends après ma
lourde et incroyable condamnation pour diffamation (pour un montant de
12500 euros) par le tribunal de Bordeaux suite à des propos vieux de
deux ans et plutôt modérés sur le fonctionnement de cette
multinationale qui officie dans plus de cent pays, dont quarante
paradis fiscaux.
Cette condamnation pour laquelle j'ai fait appel intervient le jour de
la dernière audience civile du tribunal de Luxembourg où Cleastream me
réclame 100 000 euros en réparation des 421 exemplaires vendus de
Clearstream l'enquête dans le Grand Duché. Plus de 237 € par livre.
C'est aussi le jour où le Parquet de Paris demande, dans son
réquisitoire supplétif, mon renvoi en correctionnel pour recel d'abus
de confiance et recel de vol de documents bancaires en déformant d'une
manière particulièrement malhonnête la réalité de mes enquêtes.
Je jette l'éponge.
C'est une victoire de Clearstream, de ses avocats, de ses juristes, de
ses dirigeants, des banquiers de son conseil d'administration. Une
victoire de la censure.
En écrivant "Révélation$" ou "La Boîte noire" avec le soutien de
Laurent Beccaria, aux éditions des Arènes, en réalisant avec Pascal
Lorent et Canal plus les dissimulateurs ou l'affaire Clearstream
racontée à un ouvrier de chez Daewoo, je ne pensais pas en arriver à
cette extrémité. A ce K.O. Je n'imaginais pas subir ce harcèlement et
cette entreprise de déstabilisation. Je suis entré dans un cercle
vicieux : plus Clearstream m'attaque plus je me défends, plus je me
défends plus je prends des risques. En premier lieu, celui d'être taxé
d'obsessionnel. Ce que je ne suis pas.
Je me suis battu pendant vingt ans pour la construction d'une justice
européenne. J'ai toujours écrit pour informer l'opinion de
l'intégration croissante du crime organisé dans les circuits financiers
et les processus de décision de nos sociétés mondialisées. Depuis mon
travail à Libération à la rédaction de l'appel de Genève ou par mes
autres livres et films, j'ai essayé d'informer le public de ce qui se
passait dans les coulisses du pouvoir et de la finance clandestine.
Mais la partie est devenue trop dure et inégale.
J'ai entrepris ce travail de journaliste avec mes moyens, ma bonne foi.
Je le paie cash. Un peu trop. J'ai passé des centaines d'heures à
filmer des témoins, recouper des informations, éplucher des listes de
comptes, forcer les barrages des secrétaires et des attachés de presse,
envoyer les lettres recommandées, questionner des banquiers ou des PDG.
J'ai toujours évité les compromissions quand beaucoup de mes
détracteurs parmi les journalistes ne connaissent du travail
d'investigation que les rendez vous discrets avec les commissaires des
RG, de la DST ou les avocats.
J'ai réalisé une enquête de première main, avec des dizaines de témoins
différents. Huit ans de ma vie. Nous avons remporté de belles
victoires, repoussé plusieurs dizaines d'assauts de banques russes,
luxembourgeoises ou de Clearstream devant les tribunaux français,
belges, canadiens, suisses et même à Gibraltar.
Mais ce n'est plus possible.
Ma confiance envers la justice et les hommes qui ont à juger de mes
écrits s'est émoussée. Les tribunaux sont plus sensibles à l'air du
temps et au harcèlement juridique d'une société aux moyens
inépuisables, qu'à l'examen des faits. Je suis condamné par des
magistrats qui, la plupart du temps, ne connaissent des mécanismes
financiers que leur livret de Caisse d'Epargne.
Aujourd'hui en expliquant que des clients douteux se servent de
Clearstream comme "d'un poumon à la finance parallèle" , je prends le
risque d'être poursuivi. Et condamné. Alors que je peux prouver que des
milliers de comptes sont ouverts chez Clearstream dans des paradis
fiscaux qui abritent des milliards d'euros. C'est injuste. C'est ainsi.
J'ai le sentiment d'être plus poursuivi et sanctionné en écrivant sur
la délinquance financière que si je faisais une apologie du nazisme ou
du viol de la vie privée. Au bout d'un moment, cela n'a plus de sens,
sinon, celui de donner du travail à l'avocat et aux juristes de
Clearstream.
Mon blog est surveillé. En écrivant au jour le jour les fragments de
cette histoire, je m'expose trop. Je livre des éléments qui ensuite se
retournent contre moi et alimentent des procédures de plus en plus
longues et coûteuses. Chaque jour, le chargé de communication de la
firme s'y connecte et fait son compte rendu aux avocats de Clearstream.
Ce dernier message est donc d'abord pour eux. Vous ciblez vos attaques
sur moi, en évitant de poursuivre les auteurs qui publient des livres
tout aussi accusateurs, les articles qui s'étonnent de la réputation de
vos clients et de certaines de vos pratiques ou même l'Autorité des
Marchés Financiers qui met en cause votre opacité. Il vaut mieux s'en
prendre à un seul. Je suis celui qui a révélé votre existence. Je dois
payer. Voilà, messieurs, vous allez gagner du temps. C'est la dernière
fois que vous aurez à lire mes réflexions. Comment dites-vous déjà?
"Obsédé, falsificateur, conspirationniste…" Je suis las de lire ces
mensonges à longueur d'assignations.
Vous voulez me détruire et me ruiner. Vous vous servez de tout ce qui
traîne pour me faire une sale réputation. Peut-être y parviendrez-vous.
Peut-être pas.
Vous vouliez que je me taise. Je me tais. C'est paradoxal à l'heure où
la jurisprudence européenne tient les journalistes pour "les chiens de
garde de l'Information". Et où "Millenium" triomphe en librairie. Un
million de lecteurs se passionnent pour cette trilogie et les aventures
de Blomqvist, en butte à la délinquance financière. Mais dans la vraie
vie, les Blomqvist ont des enfants, des fins de mois et parfois le
blues.
De nombreux procès restent en suspend et une commission d'enquête
parlementaire européenne est toujours possible. A tous ceux qui
m'accompagnent dans ce travail, aux centaines de journalistes qui
envoient un message et leur carte de presse pour ma défense, aux
magistrats spécialisés qui écrivent des attestations en ma faveur, aux
députés français et européens qui me soutiennent, à mes avocats, aux
300.000 internautes qui suivent ce blog, au comité qui m'aide à payer
les frais de justice, je dis "merci et persévérerez". Le combat
continue, même si je dois me taire.
Denis Robert
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