Grace l'intrepide

de Karine Miermont
Roman - 240 pages
Editions Gallimard - janvier 2019
Grace Amarachi Uzoma est née au Nigeria, à Benin City, que les circonstances familiales et l'incitation maternelle vont faire prendre le chemin du grand voyage vers l'Europe. Avec une filière de passeurs spécialisés, elle va s'endetter de 70 000 euros pour rejoindre la Libye puis la France, avec l'espoir d'y avoir un emploi stable, comme baby sitter. Hélas, remise dans les mains de Mama Gladys, sa maquerelle, elle devra se diriger comme toutes les autres, vers la prostitution dans le bois de Vincennes, et lui reverser au minimum 100 euros chaque jour. Elle apprend, elle est une autre qu'elle-même, elle essaie de sauver sa peau, de se remettre des hommes violents, de l'insécurité, des clients qui ne paient pas. Elle est une femme d'honneur, gravée dans le sang au Nigeria comme redevable. Un esclavage intégré.
Ce "roman" est déstabilisant. Il livre le récit du personnage, de son parcours et de son entourage. Il donne parole à Gabrielle, une travailleuse sociale à qui Grace a raconté le parcours. Mais il est aussi jalonné de très nombreux passages documentaires, journalistiques, sur les cultures nigérianes et l'origine de l'ancestrale traite des femmes, l'excision, la spécialisation des réseaux selon les ethnies, les codes du bois de Vincennes… C'est tellement précis, tellement documenté, qu'on peut trouver au début le livre assez bancal, pas vraiment un roman, un documentaire littéraire qui parfois penche dans le romanesque...
Extrait :"Tu te vois d'abord comme responsable de ta dette et des espoirs de ta famille, tu te vois d'abord comme une coupable ! La plupart des femmes règlent leur dette jusqu'au bout, un truc que les policiers et les associations ont eu du mal à comprendre, il leur a fallu du temps pour comprendre que le groupe, la famille, le clan sont plus importants que chacun de nous au Nigeria ! Et que tu respectes toujours tes aînés, tes parents, quelqu'un qui est plus âgé que toi tu le respectes automatiquement et quoi qu'il fasse, c'est pourquoi les filles respectent leur Madam même quand elle les menace, même quand elle les bat, car il y a, en plus de la dette, en plus du serment et de la famille, il y a le respect, ô, le respect dû aux anciens qui sont comme une famille pour toi, tu les appelle Tantie ou Mama ou Ma, c'est une habitude au Nigeria, tu les appelle comme s'ils étaient tes parents, c'est le piège des mots, en plus du piège de la vie."
Mais avec Grace, il y a une énergie, une vie intrépide, on avance dans le récit avec les éléments de compréhension de ce monde caché, et on suit ce personnage de prostituée qui trouvera la force de briser ses chaînes invisibles, la force de croire en de nouvelles relations humaines loin des intimidations socio-culturelles, loin de l'honneur du clan, des relations lui offrant une nouvelle vie. Au final, on termine un roman assez éblouissant, bien qu'empreint de la noirceur des jours des toutes les putes soumises qui se sont tissé une histoire, une légende pour immigrer. Un livre qui touche juste.
"Le roman d'une prostituée nigériane" - LeMondeAfrique
L'avis de Philippe Kieffer - BibliObs
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