Il y a 20 ans, j'aurais pu en parler pendant trois quarts d'heure, et aujourd'hui je dis que ce qu’on nomme Hara, au Japon, est insaisissable par la pensée ; ce qui ne veut pas dire que la réalité qui se cache derrière ce kanji est inconnaissable. Voilà la difficulté pour l'homme occidental quand il est confronté à des expressions comme hara, aïkido ou kokyu. Nous sommes tentés de les capter à travers la conscience qui objective, qui conceptualise, rationalise, et nous pensons avoir compris.
Il est donc très di fficile de parler de hara. Il est tellement plus simple de pratiquer les exercices qui permettent de découvrir hara. C'est ce que j'ai eu la chance de faire depuis l'âge de 20 ans lorsque j'ai commencé la pratique de l'aïkido. Le maître de l’art (Masamichi Noro), n’arrêtait pas de nous dire de pratiquer avec « hara » . Cette injonction était suivie d’une démonstration qui était à la fois spectaculaire, esthétique, libre... Mais il n'y avait jamais d’explication, on se demandait bien ce qu'il fallait faire.Plus tard, après avoir découvert le livre de Karlfried Graf Dürckheim, Hara centre vital de l'homme, j’ai assisté à un colloque où il était présent. J'ai oublié tout ce qu'il a dit, mais je ne pouvais me défaire de l'impression qui était la mienne en le voyant tel qu'il était. Quand il parlait, il me donnait l'impression d’être ce qu'il disait. Il parlait du calme, il parlait de la sérénité, il parlait de la confiance, et c'était bouleversant. J'avais devant moi un homme serein, calme et confiant. Cet homme était l'expression même de ce qu’on désigne par le mot hara.
Après le colloque, il m'a invité à le rencontrer en Forêt-Noire. Je m’y suis rendu, et cela m'a tellement bouleversé que j'ai laissé tout ce que je faisais en Belgique, mon cabinet de kiné, les amis, la famille... J'ai eu l'occasion de travailler une vingtaine d'années avec Graf Dürckheim, dont 5 ans au quotidien.
Rütte, le petit village où résidait Dürckheim, était le domaine de la culture du hara. Le plus important, pour Dürckheim qui avait baigné dans le monde du zen au Japon, était de différencier ce qu’il appelle le corps que l'homme « a » et le corps que l'homme « est ».
Hara est le centre vital du corps que l'homme « est », que les Allemands appellent Leib. C’est le corps vivant ! Ce tout corps vivant dans son unité qui est absolument autre que la somme des éléments qui composent le corps objectivé par la science.
Tous les exercices proposés dans le monde du zen engagent le corps que nous sommes, que ce soit la méditation (zazen), le tir à l’arc (kyudo), l’art du thé (chado), l’art du combat au sabre (kendo), etc.
Le but de ces exercices, le but de la culture de hara ? Le calme intérieur ! Hara désigne l’homme qui est centré en son juste milieu. Par sa manière d’être en tant que corps vivant cette personne témoigne, par exemple, qu’elle a infiniment de temps intérieurement ; qu’elle est calme, sereine, confiante. En suivant les enseignements proposés par Dürckheim, j’avais l’impression de mettre de l’humain dans ma vie existentielle.
Comment peut-on faire cette expérience ?
Hara est très certainement ce qu’il y a de plus naturel en tout être humain. J’observe que si le tout jeune enfant n’était pas naturellement centré, il ne pourrait jamais s’asseoir, se mettre debout, marcher. Hara est le siège de la force vitale, le fait que « je vis parce que suis un être vivant », écrit Heidegger. Mais ce pilier de la phénoménologie ajoute « Je pense parce que je suis un être pensant ». Le grand problème de l’homme actuel est de s’identifier à la seconde indication et d’ignorer la première. En s’enfermant dans la mentalité il se coupe de sa vitalité, qui est notre vrai point d’appui tout au long de l’existence.
Ce tout corps vivant dans son unité qui est absolument autre que la somme des éléments qui composent le corps objectivé par la science.
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