J'avoue, je le dis tout net : je n'ai pas ressenti un tel choc depuis « Le livre brisé » de Doubrovsky. On appelle ça, l'autofiction. On aime ou on n'aime pas, moi j'aime ça. J'en redemande. Une vérité est là. Une approche, une tentative de trouver un chemin alors que sans cesse les pistes sont brouillées. « Dans son regard aux lèvres rouges » est un grand livre : il gêne, il emballe, il fatigue, il exalte, il exulte aussi. On le déteste parfois, mais il reste là, en tête, obstiné, rebelle, indécent et d'une incroyable pudeur pourtant. C'est qu'avec l'amour, il faut s'attendre à tout. Il faut également s'attendre à tout avec Charnet, littérairement parlant.
Petite pirouette que je me permets : Yves Charnet est-il un mauvais sujet ? Dans sa lumineuse postface Jean Delabroy pose en effet la question du « sujet » à propos de l'auteur.
Et si, pour Charnet, l'amour était un « merveilleux malheur » !
Extrait :
« Tu t'efforçais de ne pas penser à la langue de l'autre. Dans la bouche de ton amante partagée. La plupart du temps tu faisais comme si Romy n'aimait que toi. Tes ficelles de fils unique. Tu te faisais ton cinéma. Prises de vue, prises de guerre. Tu aurais voulu la faire prisonnière. Dans le grand jeu de ta petite vie. Qu'elle ne reparte jamais. Plus jamais. Tu étais piégé. Dans son regard aux lèvres rouges. »
Yves Charnet | Dans son regard aux lèvres rouges | Le bateau ivre éditeur, 2017 | 260 pages | 19 euros