Pour Ne Pas Tuer

Publié le 08 février 2019 par Hunterjones
"Don't think you knew you were in the song..."
-D.J.  *
On choisit tous nos styles de vie.
Parfois j'ai l'impression de toujours magasiner le mien.
Mon côté traducteur, plus près de ma mère, me porte à être passif, très porté sur la littérature, capable de solitude sans jamais jamais en souffrir. Capable de silence. Et incapable d'ennui personnel. Plus enclin à être l'homme de musée que le peintre de la chambre de la petite.

Mais si mon père nous as quitté comme il a vécu, promptement, cette année, il y a 10 ans, on ne peut pas me le retirer des gênes. Il était hyperactif. Et une part de moi-même, la part paternelle vous l'aurez compris, me pousse à toujours me garder actif. Parfois surstimulé. Cérébralement, très certainement, mais physiquement aussi.

Je traduis le soir, les week-ends et les vendredis, mais du lundi au jeudi j'ai eu besoin de bouger (et d'un second revenu) et je bosse dans un entrepôt de recyclage. J'ai été chauffeur sur le service aux villes. Mais depuis l'automne, je ne suis qu'à l'entrepôt. À ma demande. Horaires plus stables, travail (en théorie) moins chaotique, absence de risque de contraventions ou d'accidents de voiture.
Bref, à quelques exceptions près, je ne prends plus la route pour servir les citoyens des villes.

Mais pas cette semaine. Cette semaine aura été la pire depuis longtemps en ce qui me concerne. Une semaine qui commençait pourtant avec un heureux anniversaire.
La compagnie a commencé avec la douteuse idée de larguer un des chauffeurs pour les trois prochaines semaines.
"On aura moins de service aux villes ou on va se taper toutes ses routes?" a demandé mon collègue. Il a parlé au "on" mais comme il ne conduit pas, il demandait "je perds mon partenaire pour les trois prochaines semaines ou on aura moins d'appels sur les routes?". La réponse n'avait pas été claire. Je l'ai eu dans la gueule dès lundi.

12h10 sur la route.
Mardi: 10h30, mais c'était parce qu'on s'était fait dire le matin qu'on voulait limiter le temps supplémentaire. On me donnait quand même une tonne de job vers 16h20, je devais quitter à 16h30 si on limitait à 10h par jour, ça attendrait.J'ai quand même fait 30 minutes de surtemps. Walk the fucking talk guys.
Mercredi: 12h55 sur la route.
Hier: 12h40.

Inutile de vous dire que j'étais d'une humeur massacrante toute la calisse de semaine.
Et que je leur ait fait savoir que ça ne devra plus se passer comme ça.
À la fin de chacune de ces journées, j'ai traduit. Et je vous ai aussi écrit. Commençant chaque nouvelle journée, parfaitement brûlé.
Je ne suis pas obligé de faire tout ça. Je le choisis aussi. J'ai comme point de vue qu'on devrait pas mal toujours choisir ce qui nous arrive dans la vie. Ou le plus souvent possible. Dans un monde idéal.
Mais le monde n'était pas idéal cette semaine. Et j'avais du nuage dans le regard.
Mais quand j'écris, les nuages se dissipent. Pour citer le poète Denis Vanier, j'écris pour ne pas tuer.

Sur mon téléphone, afin de préserver de l'espace, mais aussi pour diversifier un peu, je me limite à garder, dans la section "albums" jamais plus de 10 albums. Mercredi soir je supprimais At Dawn de My Mourning Jacket, Quiet River of Dust Vol.1 de Richard Reed Parry et A Saucerful of Secrets de Pink Floyd, que j'avais tous, trop écouté. J'ajoutais Physical Graffiti de Led Zeppelin, Stage de Bowie et This is Classical de ben du monde.

J'ai commencé mon hier dans l'énergie brute et imparfaite de Led Zep, album que je n'avais pas réexploré depuis...1988, genre. Aimé à 45%.
Puis j'ai découvert Stage de Bowie. Je n'aime tellement pas les albums en spectacle que je n'avais jamais prêté oreille à l'album de 1978 de mon idole. Beaucoup plus aimé parce que je l'ai presque tout chanté. Ironiquement, cet album réunit la période musicale que j'aime le plus du chanteur et jamais je n'avais pensé écouter ce qu'il en faisait en spectacle. Je réécouterai plusieurs fois, même si il se trompe dans les paroles sur sa version de Whiskey Bar.

Mais la vraie révélation a été This is Classical, un genre musical que j'ai jamais beaucoup exploré. J'ai téléchargé sur Spotify. Une liste de lecture qui sera du prémâché pour le vrai amateur de musique classique, mais qui m'a bercé tout l'après-midi. Me donnant l'impression de soudainement circuler en mer. 

Bercé par un hautbois de Ravel, je terminais justement ma journée près de l'eau, à Vaudreuil-Dorion.
À 16h11.
Mais, trafic aidant, ne revenant à l'entrepôt que deux heures plus tard.
Sous des airs de Mozart.
C'est vrai que la musique adoucit les moeurs.
Adoucit les meurtres aussi.
Je n'aurai tué cette semaine que trois bébés phoques.
*hyperlien enregistré aujourd'hui il y a 47 ans! hasard absolu! J'avais 4 jours!