Chaque poème de Benoît Casas dans Précisions semble résumer une vie, mais une vie déchirée par des citations prises dans différents livres, découpées à la scie, se heurtant les unes les autres, se récusant avec un point final, mais cependant s’épousant pour dire en définitive le silence du monde « All covered with snow (p. 364) », la solitude, mais aussi l’amour et la présence de l’autre, et ceci en tressant les auteurs qu’il a lus, rassemblés dans des notes de bas de page qui forment le matériau de ses poèmes, longuement méditées, recopiées, découpées, assemblées, appariées jusqu’à ce que le mélange se révèle dans une sorte de déflagration qui est celle de ces notes précipitées en dehors de leur contexte habituel par Benoît Casas dans ses poèmes, dans lesquels toutes les voix se mêlent en même temps, hautes ou basses, en italique ou précédées de guillemets qui les individualisent et leur donne une tenue, une stature particulière, une concentration que les césures amplifient, car le montage de toutes ces citations permet à Casas de couper les mots à l’endroit où ils risqueraient d’aller trop loin dans la lecture d’une autobiographie, tout en laissant entendre que celle-ci pourrait être la nôtre, joyeuse ou déchirante, tandis que celle de Benoît Casas est vouée à l’écriture, et qu’elle lui permet sous la forme d’un processus rigoureux de garder intacte une approche sensible du monde et de dire sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt que chaque poème jusqu’au dernier doit nous surprendre comme s’il était le premier des 373 pages de Précisions, et nous interrompre lorsqu’il nous apostrophe « Lettre au lecteur./A toi de savoir maintenant prendre des décisions. (p.335) ou encore [Comme un couteau, comme une fleur, comme rien au monde.] (p.337) » avec des mots qui nous arrachent à la célébration du poème pour nous jeter dans le chaos qui est le vrai lieu où la poésie se forge.
Précisions est un livre où les poèmes sont livrés à la page avec une large marge blanche, pour nous montrer dans quel espace le texte se meut, placé au centre de l’attention du lecteur, avec un comptage rigoureux du nombre de vers depuis le commencement du livre jusqu’à la fin. Cette mise en place impersonnelle et calibrée fait partie des contraintes dont Benoît Casas aime à s’entourer dans son travail parce qu’elles sont pour lui des mécanismes féconds qui ne brident pas sa sensibilité, mais aident au contraire à l’exprimer en se servant de fragments de notes pris à d’autres auteurs. La clé de la poésie de ces textes réside en dernier lieu dans le montage de tous ces fragments, dans l’organisation qui leur donne la parole, mais une parole différente de toutes les paroles ici rassemblées, la parole de celui qui a prélevé, découpé, assemblé toutes ces voix pour n’en faire qu’une, la sienne.
Vianney Lacombe
Benoît Casas, Précisions, éditions Nous, 2019, 384 p., 22€