Des amis imaginaires, j’en ai eu quand j’étais petite. Ce n’était pas ça. Des doubles, des fantômes qui me hantaient, plutôt. Sur lesquels je n’avais pas de prise. Pas des hallucinations, je ne les voyais pas vraiment.
Renaud était mort à seize ans, désespéré, abandonné par les adultes, mort d’une overdose. Il dormait avec moi quand j’allais très mal. On a dit qu’il était égoïste de s’être suicidé, qu’il aurait pu demander de l’aide, mais tous ses gestes en demandait et tout le monde a détourné le regard.
Renaud, c’était mon moi le plus extrême, celui qui avait eu le courage que je n’avais pas. Je savais qu’il fallait mourir, mais je ne passais pas à l’acte. Il l’avait fait pour moi, et ça me blessait. J’en parlais comme s’il était vivant. Je me souviens de cet ami qui m’a dit « mais t’en connais beaucoup des gens comme ça? » et je me suis rendu compte que je parlais de Renaud. De quelqu’un qui n’existait pas. Mais qui était réel pour moi.
Nadège avait le même âge que moi. Elle se coupait, sans que personne ne le sache, se disait qu’elle n’était pas normale. Ou peut-être que si. Peut-être que tout le monde souffrait en silence, comment savoir? Peut-être que tout le monde perdait pied comme elle, et que tout le monde se taisait et faisait semblant, certains mieux que d’autres. Mais au fond, elle n’y croyait pas.
Nadège apparaissait dans sa robe de nuit d’hôpital, bleue, avec le mot « psiquatria » brodé dessus. Parfois, on ne s’entendait plus, je ne voulais plus la voir. Et quand j’allais mieux, elle me coiffait les cheveux avec douceur, mais est-ce que j’allais vraiment mieux si elle était toujours là?
Je savais qu’ils n’étaient pas réels, je ne les voyais pas comme je vois les autres gens, et pourtant ils existaient, avec leur vie propre. Ils étaient nés de mon imagination, mais je ne les contrôlais plus.
Ils me faisaient du bien, je crois.