Laissez-lui sa CRASSE
Laissez-lui les rues sans issue
Laissez-lui les trottoirs effondrés
Laissez-lui la pluie pourrie
Laissez-lui les neiges usées
Laissez-lui les poubelles trop remplies
Laissez-lui les dépotoirs
Et leurs montagnes d’insanités
Laissez-lui les égouts
Et leurs réseaux souterrains
Laissez-lui les tristes meublés
Sentant l’urine
Et débordant de caleçons sales
Laissez-lui les immeubles
Des quartiers sinistrés
Aux fenêtres condamnées
Laissez-lui les cafards et les tiques
Laissez-lui les punaises de lit
Laissez-lui les femmes vérolées
Et mal intentionnées
Laissez-lui les maladies contagieuses ou non
La rage les dermatites
La chlorose et la trichinose
Laissez-lui le sang impur
Laissez-lui les alcools frelatés
Laissez-lui les viandes avariées
Laissez-lui un monde imbuvable
Laissez-lui un monde immangeable
Mais surtout laissez-lui sa CRASSE
Laissez-lui ce qui lui appartient
Et n’appartient à aucun autre
Car un poète se reconnaît à son impureté
Au milieu de la mort immaculée
D’un monde trop bien ordonné
Laissez au poète sa crasse
Laissez-lui un monde irrécupérable
Il saura le rendre plus intolérable encore
Laissez-lui un monde inhabitable
Laissez-lui l’Enfer
Il saura à coup sûr en faire de la poésie
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Yves Gosselin (né en 1959 à Sherbrooke, Canada) – Artificier de l’absolu