Alicja Kwade : les couloirs du temps

Publié le 04 février 2019 par Pantalaskas @chapeau_noir

« The resting Thought »

C’est d’abord un son qui vous happe dans l’exposition de la jeune artiste Polonaise Alicja Kwade au Centre de création contemporaine de Tours, un son obsédant, répétitif, entêtant. Le tic-tac d’une horloge ? Pas vraiment. Un battement cardiaque ? Non plus. Mais ce décompte inexorable qui égrène pourtant chaque seconde scande l’architecture conçue spécifiquement pour la nef du centre d’art. Il nous faut donc composer avec ce temps fuyant qui nous échappe dans un sablier invisible pour appréhender l’installation de l’artiste.

Alicja Kwade « The resting Thought »
CCCOD  2019

Pour cette première exposition personnelle institutionnelle en France, Alicja Kwade a donc conçu un parcours dans lequel le visiteur est conduit à éprouver cette articulation entre l’espace et le temps. Comme une menace, un mobile quelque peu inquiétant (cadran d’horloge lesté par une pierre) tournoie au-dessus de nos têtes, rappelant avec insistance l’implacable compte à rebours de notre vie alors que cette présence au monde se voit interpellée par le jeu subtil de ce qui n’est pas véritablement un labyrinthe mais perturbe cependant l’appréhension de l’espace.
Intitulée « The resting thought » (La pensée au repos), cette proposition nous laisse-t-elle vraiment en repos ?

Réflection et réflexion

Entre réflection et réflexion, ce travail prolonge à sa manière les interrogations d’un Dan Graham dont l’œuvre propose une expérience esthétique qui se joue des reflets ou de la démultiplication des espaces. Au centre d’art contemporain de Sérignan, en 2013, le visiteur spectateur, piégé dans l’installation de Dan Graham, participait volontairement ou non à ce ballet dans lequel il se révélait difficile de situer les plans: intérieur-extérieur, premier plan-arrière plan, gauche-droite. A Tours Alicja Kwade se mesure elle aussi à l’architecture intérieure et extérieure du bâtiment. La nef centrale, dans sa conception architecturale, joue déjà sur cette relation à la ville, établissant une passerelle visuelle entre le point de vue intérieur et l’approche extérieure.
L’agencement des sculptures posées en symétrie de part et d’autre des châssis métalliques ajoute au trouble sur cette réflexion. Voit-on une image dans un miroir ? S’agit-il d’une vision réelle à travers un cadre nu ? Peut-on traverser ce couloir ?  Sommes nous réfléchis ? Après quelques pas, le visiteur hésite à franchir ce plan dont il ne sait plus s’il est évidé, vitré ou miroir. Et pendant ce temps l’horloge infernale tourne au-dessus de sa tête, obsédante, assénant à chaque seconde cette perte supplémentaire du temps qui lui reste.
La partition de l’espace induite par ces cadres métalliques noir nous renvoie aussi à Peter Downsbrough et son processus de coupure optique, de recadrage du champ visuel suggérant une nouvelle appréhension de l’espace. Alicja Kwade, pour sa part, suggère  l’existence de ces couloirs où l’espace et le temps jouent à cache cache, où notre capacité à nous situer est déstabilisée.
Avec ce jeu de reflection, l’artiste nous donne donc matière à réflexion mentale mais pourtant éprouvée très physiquement à travers le parcours de cette installation à la fois très sobre dans sa conception et dans le même temps totalement envahissante avec ce lancinant environnement sonore qui nous enveloppe du début à la fin de la visite.
Dans ces couloirs du temps un réel quelque peu imaginaire donne matière à réflexion.

Photos :courtesy CCCOD et de l’auteur.

Alicja Kwade
« The resting thought »
2 février – 1er septembre 2019
Centre de création contemporaine Olivier Debré
Jardin François 1er
37000 Tours

Voyage à l’invitation du Centre de création contemporaine Olivier Debré à Tours