(Note de lecture), Emmanuel Hocquard, Les Elégies, par Didier Cahen

Par Florence Trocmé

En hommage à l’œuvre d'Emmanuel Hocquard et avec l'aimable autorisation de la revue Europe, Poezibao publie cette note de Didier Cahen sur la parution en 2016, en Poésie / Gallimard des Élégies.

La « modernité négative » d’Emmanuel Hocquard

Belle et juste initiative de la collection Poésie/Gallimard qui accueillait Emmanuel Hocquard début 2016, au moment où l’on fêtait son cinquantième anniversaire. Le livre rassemble sept élégies écrites entre 1969 et 1989. Avec ses amis écrivains Claude Royet-Journoud, Anne-Marie Albiach, Jean Daive et Alain Veinstein, Emmanuel Hocquard forme à l’époque le noyau dur d’un groupe informel, en totale rupture avec la poésie lyrique et toutes les formes d’académisme. On a pu parler de « modernité négative » pour relever une  réserve de principe moins à l’égard de la poésie que vis-à-vis des artefacts avec lesquels on l’a trop souvent confondue. Dans la lignée des poètes objectivistes américains Charles Reznikoff ou George Oppen, Hocquard privilégie les formes minimalistes. Pour lui, le poète est le passeur de notre quotidien ; son exigence le pousse vers une poésie débarrassée de ses scories et de ses artefacts, voire dépouillée de toute littérature ! Les mots, dit-il, sont comme « des éclats de verre », les émotions à ne prendre en compte « qu’en terme d’ébranlements ». Ainsi ces élégies prennent discrètement le contrepied de leur modèle classique; elles en détournent l’esprit et en retournent la lettre pour distiller le réel sous toutes ses formes, avec ce seul mot d’ordre qui gouverne la langue : plus de surface et moins de profondeur. Voici, …, voilà…, à coup de déictiques le texte montre sobrement ce qu’il ne peut pas dire ; tout est donné avec une précision d’orfèvre, l’homme, la « statue parlante », le (moi) mis entre parenthèse et les mots-matériels qui parlent en-deçà de la grammaire : « peuc peuc peuc peuc », pour é-bruiter le son de la barque qui peine dans le détroit sans oublier tous « les calendriers et les cadrans solaires qui ne mesurent qu’eux-mêmes ».… D’où cette écriture qu’on dira prosaïque, descriptive, de l’ordre du scan ou de la photographie, non dénuée d’humour et des élans du cœur mais excluant les facilités rhétoriques : « tout juste un point cartographique/pour cigognes et vent d’est/sur les plages ». La poésie, en somme, comme irruption de la vie et de son désir.

Didier Cahen
[Cet article a été publié dans le numéro 1049-1050 Paul Celan, de la revue Europe, octobre 2016
]

Emmanuel Hocquard, Les Élégies, Poésie/Gallimard, 2016,128p., 6€40