Antoine Hervé par Juan Carlos HERNANDEZ
Ouvrage collectif dirigé par Ziad Kreidy
Editions Aedem Musicae. Château-Gontier (53).
France. 2018. 478p. 37€.
Lectrices savantes, lecteurs experts, il n'a pu vous échapper que ce blog relève de l'escroquerie. En effet, je ne sais ni lire, ni écrire, ni jouer la musique et pourtant j'en parle. Heureusement pour moi, je n'en tire pas le moindre denier ce qui m'évite de tomber sous le coup de l'article 313-1 du Code pénal.
Pour instruire les ignorants dans mon genre, le pianiste et musicologue libano-français Ziad Kreidy se dévoue corps et âme à propager la sainte parole de la musique savante au piano. Seul, il a déjà écrit " Les avatars du piano " (2012) puis " La facture du piano et ses métamorphoses " (2018) déjà louangés sur ce blog.
Cette fois, il se lance dans un ouvrage collectif et bilingue " Clefs pour le piano/Keys to the piano ". Moins ambitieux que Denis Diderot, son Encyclopédie ne couvre qu'un seul objet, le piano comme vous l'aviez deviné, lectrices savantes, lecteurs experts.
L'ouvrage est un recueil d'articles sans plan visible. Pour autant, vous vous apercevrez vite, lectrices savantes, lecteurs experts, que l'ouvrage suit un plan chronologique allant de l'invention du pianoforte (doux fort en français. La langue italienne dit toujours pianoforte mais ce n'est plus le même instrument) par l'Italien Bartolomeo Cristofori vers 1700 au service d'un grand Duc Médicis à Florence (peintres, sculpteurs, architectes et musiciens européens devraient rendre hommage aux Médicis à Florence au moins une fois par an) à des solutions pour un piano futur proposées par l'Américain Stewart Pollens.
En chemin, Ziad Kreidy ne lâche pas ses obsessions. Notre directeur spirituel aime jouer les œuvres anciennes sur les instruments anciens. A l'appui de sa démonstration, un article sur Frédéric Chopin démontre, qu'en plus de copier lui même ses partitions, le plus célèbre des Polonais indiquait des tempi, des pédales différents selon que le morceau devait être joué à Paris, Vienne ou Londres. En effet, à son époque, d'une ville à l'autre, les pianos différaient. " En ce qui concerne le piano, personne n'en sait plus que Chopin " (Robert Schumann).
Pour autant, notre auteur n'est pas un fanatique. Il accepte le dialogue avec des artistes au point de vue totalement divergent du sien. Ainsi le compositeur français Tristan Murail (1947) estime qu'un compositeur actuel pour le piano ne peut créer du neuf qu'en utilisant les ressources de l'électronique. Cf sous cet article, la vidéo de Dan Tepfer (1982), pianiste, compositeur et astrophysicien maintes fois louangé sur ce blog, " Jazz and Coding ".
Les deux précédents ouvrages de Ziad Kreidy ne comportaient pas un mot sur le Jazz. Ce fâcheux oubli est réparé avec l'article " Enjeux d'une esthétique pianistique afro-américaine (de Eubie Blake à Jason Moran) " de Frédéric Saffar ( Université Paris 8). Que deviennent les pianistes de Jazz blancs et métis, européens et asiatiques, dans cette affaire? La question demeure. Autre question sans réponse. Pourquoi, dans la musique classique, le pianiste est-il le soliste invité par l'orchestre qui peut très bien jouer sans lui alors qu'en Jazz, il est le chef d'orchestre, compositeur, arrangeur, directeur musical dont l'exemple le plus reconnu, souvent imité mais jamais égalé, demeure Duke Ellington?
Un autre article aurait pu, aurait dû, citer des pianistes de Jazz. " , professeur à l'université de Rouen, qui dirigea un big band de Jazz et qui réussit l'exploit sportif de parler de piano traité comme un instrument de percussion sans faire référence aux racines africaines infusées dans le Jazz par Fats Waller ou L'incarnation percussive du piano contemporain " de Pierre-Albert CastanetThelonious Sphere Monk. Comme si le pianiste cubain Omar Sosa n'existait pas. En compensation, écoutez sous cet article, l'extrait audio de l'album " " (1956) d' Art Blakey avec le " Cubano Chant " du pianiste Ray Bryant .
Ziad Kreidy, tant dans ses écrits que dans son jeu, lutte contre la standardisation des pianos. Il n'est pas le seul à mener le combat. Ainsi le pianiste et enseignant français Stephen Paulello a décidé de créer des pianos tant il était déçu par ceux dont il jouait. Le résultat donne un grand piano à 102 touches (contre 88 habituellement) dont le pianiste de Jazz français Marc Benham fait merveille dans son récent album " ", célébré sur ce blog. Ce piano est au piano vendu en magasin ce que la haute couture est au prêt à porter. Le prix suit la qualité. Il monte en flèche.
Le piano peut même devenir tellement unique qu'il n'existe qu'en un seul exemplaire dont certains pianistes aventureux (plutôt Indiens qu'Européens) aiment jouer mais que personne n'achète. C'est le Fluid Piano, sujet d'un entretien entre son créateur le Britannique Geoffrey Smith et Ziad Kreidy. Comment marche le Fluid Piano? Vous le saurez en lisant l'article.
Ce genre de crocodile, rare et cher, ne permet pas de fournir un marché de masse. Tous les musiciens ne disposent pas chez eux d'un salon de musique comme cela se trouvait dans les hôtels particuliers des Fermiers généraux à Paris au XVIII° siècle. D'où l'utilité des petits pianos que démontre le constructeur américain Delwin D Fandrich.
En toute honnêteté, lectrices savantes, lecteurs experts, je ne suis pas venu à bout de certains articles. Savoir comment Erard a inventé son mécanisme à double échappement ou comment les pianos étaient fabriqués en URSS ne m'intéresse pas du tout. Mon insatiable curiosité n'est pas allée jusqu'à ces extrémités.
Cette chronique ne prétend pas décrire toutes les richesses de ce livre, simplement vous en livrer quelques aperçus.
L'immense intérêt de cet ouvrage est que vous pouvez le lire et vous instruire comme il vous plaira, lectrices savantes, lecteurs experts. En tout ou partie, dans l'ordre ou le désordre, " Clefs pour le piano/ Keys to the piano " vous ouvrira des portes dont vous ignoriez l'existence. Merci à Ziad Kreidy pour ce travail encyclopédique au service de la musique en général et du piano en particulier.
La photographie du pianiste, compositeur et chef d'orchestre français Antoine Hervé est l'œuvre du Fortissimo Juan Carlos HERNANDEZ. Toute utilisation de cette œuvre sans l'autorisation de son auteur constitue une violation du Code de la propriété intellectuelle passible de sanctions civiles et pénales .