Céline Minard est une romancière voyageuse à travers genres
et thèmes. La fois précédente, Faillir être
flingué touchait au western. Cette année, Bacchantes (que je n'ai pas lu) est un braquage. Entre les deux, Le Grand Jeu, réédité au format de poche, explore une solitude volontaire dont toutes les
raisons ne sont pas dites. La femme qui a acheté un pan de montagne pour y
vivre plusieurs mois sans contact avec le reste de l’humanité semble en tout
cas avoir besoin de cette expérience pour se reconstruire. Autant qu’elle a aussi besoin de l’exercice physique qui accompagne son séjour, sur des pentes raides.
Elle n’a pas renoncé à tout confort : sa cellule
d’habitation, conçue par elle-même, « une
belle planque », est un tonneau équipé en cellule de survie de luxe,
avec un aménagement de l’espace aussi bien pensé que dans un bateau où chaque
partie du mobilier s’intègre à un volume réduit.
L’apprentissage du terrain et des nouvelles habitudes ou
l’organisation d’un petit jardin occupent des journées emplies de questions. Le
face à face avec soi-même, étiré dans le temps, pousse l’esprit à vagabonder
autour de sujets qu’il n’a pas le temps d’aborder en société. « La menace pourrait-elle être une
contrainte forte et la promesse une contrainte douce ? » « Est-ce que l’attention au présent
pourrait suffire à constituer une méthode ? » Les interrogations
émaillent le récit d’éclairs de lucidité, ou de moments qui voudraient passer
pour de la lucidité, alors qu’ils sont peut-être le signe d’une certaine
confusion.
Peu importe, on suit la narratrice sur tous les chemins
qu’elle emprunte, même celui d’un vocabulaire technique pour décrire la
montagne et les outils utilisés afin de la dompter. Ces mots au sens incertain
pour le non spécialiste sont des pitons plantés dans la paroi du texte, on y
accroche la corde de rappel et en avant !
Sur la surface presque étale d’un quotidien où il ne se passe pas
grand-chose, un événement de première grandeur survient soudain : le signe
d’une autre présence humaine. Faut-il s’en inquiéter ou s’en réjouir ? Il
semble en tout cas impossible de l’ignorer et nécessaire de nouer avec cette
personne, vêtue d’une robe de bure et peu causante dans un premier temps, une
relation au moins minimale. Il y a de la perturbation en vue, plus puissante
que celles provoquées par les phénomènes météorologiques – vent, soleil, neige,
grêle. De quoi amener de nouvelles questions dans un roman qui se termine par
une série de phrases interrogatives. Au lecteur, s’il a le pied montagnard, de
trouver ses propres réponses.