Critique du Canard à l’Orange, de William Douglas Home, vu le 31 janvier 2019 au Théâtre de la Michodière
Avec Anne Charrier, Nicolas Briançon, François Vincentelli, Alice Dufour, et Sophie Arthur, dans une mise en scène de Nicolas Briançon
Je le sais pourtant : je peux faire confiance à Nicolas Briançon. Mais je me souviens qu’à l’annonce de ce spectacle, j’ai ronchonné. Pourquoi ressortir ce texte finalement assez peu joué en France et que j’imaginais donc poussiéreux et daté ? Mes doutes ont redoublé devant l’affiche, volontairement ringarde. J’y suis allée un jeudi soir, fatiguée, un peu malade, surprise mais heureuse de constater que la salle était pleine un soir de semaine. Je n’ai pas vu ma soirée passer, j’ai oublié la fatigue, j’ai guéri le temps du spectacle. Une nouvelle réussite à ajouter au tableau théâtral de Monsieur Briançon.
Hugh Preston, brillant homme de télé – et homme à femmes par la même occasion – est cocu. Il fait avouer à sa femme Liz qu’elle le trompe avec John, un jeune et riche belge avec qui elle compte s’enfuir en Italie d’ici deux jours, le dimanche matin. Beau joueur, il lui propose de prendre les torts à sa charge en lui soumettant le deal suivant : d’ici au dimanche, John vivra sous leur toit et lui invitera PatiPat, sa secrétaire, pour qu’ils les prennent en flagrant délit et facilitent ainsi la procédure du divorce. Voici un week-end qui s’annonce chargé en émotion – et en rires !
Il n’aura suffi que de quelques minutes. Quelques minutes et je plonge dans le spectacle dans un grand rire, rejointe par l’ensemble des spectateurs. J’aime le travail de Nicolas Briançon car il ne considère pas le boulevard comme un genre moins noble qu’un autre. Quelques années à assister à ses spectacles m’ont permis d’ôter toute once de mépris envers des spectacles populaires faits pour provoquer le rire. Mais si, vous le connaissez, ce mépris. Ce petit rictus, cette petite gêne car ce spectacle est un pur divertissement et ne va pas chercher plus loin que le détente pure et franche du spectateur. Il est un génie du genre et c’est un plaisir de le retrouver dans ce spectacle avec sa double casquette de comédien-metteur en scène.
Mais ce n’est jamais évident de critiquer ses spectacles. Hors de question de rater la moindre réplique en prenant des notes pendant la pièce ! Me voilà donc face à mes souvenirs. Or Le Canard à l’Orange – comme la plupart des mises en scène de Briançon, c’est sa marque de fabrique – est une bouteille de champagne. Pétillant, savoureux, acidulé, explosif, on le déguste sur place et il ne nous reste plus que l’écume au sortir. Rien de négatif à cela : on sort avec une impression de plénitude et de légèreté délicieuses. Pompette, sans gueule de bois. Juste heureux.
On saluera évidemment une mise en scène éclatante, incroyablement rythmée et laissant sa place à chacun des comédiens. Rien n’est laissé au hasard : jusqu’aux saluts tout n’est que perfection, et on en vient même à se demander si les presque fou-rires qui se ressentent sur scène et qui provoquent la jubilation voire les applaudissements du public ne sont pas eux-même travaillés. J’ai été agréablement surprise par l’adaptation et la traduction, étonnamment modernes et familières pour une pièce pourtant intrinsèquement datée, dans sa forme comme dans ses personnages. Et puis, les différents clins d’oeil de Briançon à ce théâtre qu’il défend avec brio ajoutent une touche supplémentaire, entre hommage et virtuosité.
Nous voici donc dans une ambiance Au Théâtre Ce Soir très réussie, et Briançon a su s’entourer d’une belle troupe pour porter au plus haut ce spectacle. J’étais très heureuse de retrouver François Vincentelli découvert dans Hard en début de saison, irrésistible avec son accent belge, trouvant son aspect comique dans une mécanique de jeu incroyablement précise et presque codifié. Anne Charrier, que je n’avais pas vue au théâtre depuis le merveilleux Volpone du même metteur en scène, compose une Liz absolument charmante, formant avec son époux un véritable duo dont la complicité se lit dans leurs regards. Sophie Arthur est une gouvernante aussi décalée dans sa composition que dans sa partition, qui rentre dans son rôle dès son annonce – très réussie – contre les téléphones portables. Seule Alice Dufour reste un peu en-dessous de cette excellence, dévoilant certes un corps de rêve mais, dans le même temps, une présence pas très assurée. Mais après tout, la jeune femme recrutée avant tout pour sa plastique et non pour son jeu, ne serait-ce pas aussi un des codes du boulevard ?
Il en reste un que je n’ai pas mentionné. Je mentirais si je ne disais pas que c’est Nicolas Briançon qui remporte tout. Il a choisi sciemment un mode de jeu différent de ses camarades : là où ils sont plutôt dans la caricature, lui est d’un naturel éclatant. D’ailleurs, il est dans une forme olympique ; j’ai presque envie de dire que c’est son rôle comique le plus réussi. Il est absolument succulent dans son personnage de Hugh Preston, il s’amuse comme un dingue et ça se sent. On tombe d’ailleurs rapidement sous le charme de cet homme brillant et espiègle. L’oeil vif, sournois et malicieux, ses sourires précèdent ses bons mots et de manière plus générale, sa partition lui va comme un gant. Il est dans une autre dimension que le reste de la troupe, manipulant le temps qui se déroule alors à une vitesse folle : lorsqu’il est sur scène, plus d’échappatoire au rire, et, d’un sourire entendu au simple soulèvement d’un drap sur un canapé, tout est si parfait qu’il provoque l’hilarité générale.
Un Canard à consommer sans modération.