Hier sur les coups de 19 heures 30 à la communication du tiercé gagnant. 3. Norvège 2. Suède 1. Danemark à la non-surprise générale. Le même classement qu’au Bocuse d’or 2011, le même dans le désordre du Bocuse d’or Europe tenu en Italie.
Nous avions décidé de nous éloigner du microcosme de la salle de presse et de nous mêler à la foule des anonymes devant l’écran du studio Sirha. Les gens présents prennent la nouvelle sans effusion et puis s’en vont, sans réaction. On n’entend même pas un « encore les Scandinaves », non, rien. Sidérés. Vide sidéral. A ce moment on se dit que le Bocuse d’or n’est plus ce qu’il était. L’emprise scandinave est chaque année plus prégnante, et des doutes s’insinuent dans l’esprit des suiveurs car leur cuisine n’est pas si dominatrice que cela au plan international.
Pourtant on le pressentait, nombreux avaient pronostiqué le Danemark gagnant de la 1ère journée. Nombreux avions-nous aussi été à dire qu’un des favoris, les Etats-Unis, était passé au travers, et d’ailleurs un point du règlement recommandant 50% de légumes, les Américains étaient sans doute hors sujet. « Nous avons appris beaucoup cette année pour 2021 » fut la réaction de Thomas Keller, le président du comité américain à l’issue du concours. Ils ont surtout désappris depuis la parenthèse 2017, c’est même surprenant qu’ils fassent 9ème car cela devrait être éliminatoire.
Assiette Etats-Unis, crédit photo Julien BouvierBref, au vu de ce qu’ils ont réalisé les « Danes » marquent les esprits. Il n’est que ce doute qui nous effleure, ils ont contourné une difficulté majeure en ne présentant pas une chartreuse de légumes qui devait faire 20 cm, mais un assemblement de huit chartreuses, qu’il suffisait de séparer avec un petit couteau (voir ci-dessous) là où d’autres équipes ont galéré lors de la découpe. Fins connaisseurs du règlement (quatrième participation de leur coach, Rasmuss Kofoed), les Danois ont su jouer avec la ligne rouge, et le jury ne l’a pas sanctionné puisqu’ils sont premiers pour l’assiette. C’est de bonne guerre, dirons-nous. Sur 24 équipes 21 utilisaient des moules ronds, eux ont innové. De plus, l’assiette elle-même participait au décor. Ils ont tout bon.
Rasmuss Kofoed à la découpe, crédit photo Julien BouvierEt nous en venons à cette lassitude ressentie lors de la communication des résultats. Saga-Bocuse d’or a dès l’instauration d’éliminatoires européens en 2009, senti le vent tourner. Le Bocuse d’or Europe connaît une forte pondération scandinave (30 %), surtout que des pays comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, ont décroché du concours et ne pèsent plus. Et, osons le dire, de forts soupçons pèsent que les Scandinaves votent entre-eux (tout en désignant le meilleur, cela va de soi).
Si on prend par exemple la France, la difficulté est flagrante, elle n’arrive pas à fédérer au-delà de ses frontières. Les Français sont isolés, le lobbying n’est pas leur spécialité, alors que tout le monde vient pour faire mordre la poussière à la nation organisatrice, sur ses terres. On ressent même de l’agressivité dans certains propos, des Scandinaves notamment. Sûrs d’eux (mais pas arrogants), courageux (mais pas imprudents), ceux-ci prennent lentement le pouvoir. On se souvient que lorsque le nouveau trophée Paul Bocuse debout sur le globe (un pied sur l’Europe, l’autre sur le Japon, qui se voulait un clin d’oeil à sa personne plus qu’au concours) a été présenté au public en 2007, il avait fait grincer des dents. On l’avait pris comme une arrogance du pays, ce qu’il ne se voulait nullement. Coïncidence en 2009 le système bascule.
Il ne faut pas se leurrer, il y a des intérêts économiques derrière le Bocuse d’or et les Scandinaves l’ont bien compris. Les institutionnels soutiennent les efforts des cuisiniers ; leurs princes fréquentent les tribunes. Chez nous les politiques viennent inaugurer le salon devant les caméras mais quand il s’agit de faire de la Team France une cause nationale (et sortir les ronds pour aider à financer) il n’y a plus personne.
Au-delà de la géo-cuisino-politique, les organisateurs doivent s’interroger si on ne veut pas faire du Bocuse d’or une Vasaloppet. Une première piste serait déjà que chaque juge laisse son téléphone au vestiaire, comme cela se passe au M.O.F., pour qu’ils cessent d’étalonner les images précédentes au lieu de juger le moment présent (ci-dessous une sélection photos Julien Bouvier).
Ensuite, le jury ne doit plus être à notre humble avis choisi en fonction des pays présents, plutôt donner des « wild cards » à des chefs qui ne sont pas partie prenante au lieu d’un chef par nation participante. Il y a assez d’étoilés dans le monde au sein desquels on peut puiser et pourquoi pas, y adjoindre des critiques gastronomiques rompus à cet exercice. Pour que le goût reprenne le pas, donnant sa chance à chacun. Faisons remarquer que la Coupe du monde de la pâtisserie a su faire émerger cette année un pays comme la Malaisie. Pour cette compétition par exemple, le vainqueur de l’épreuve précédente est absent la session suivante et ce n’est pas plus mal pour l’équité.