Critique du Misanthrope, de Molière, vu le 17 janvier 2019 au Théâtre El Duende par complice de MDT
Avec Marie Benatti, Louis Bussière, Déborah Chantob, Quentin Dolmaire, Jérémy Galvez, Vincent Kambouchner, Clémence Lestang, Raphaël Marriq, Elie Salleron, dans une mise en scène de Marie Benati
Le Misanthrope est décidément la pièce du moment. Je n’ai pas vu celui de Rodolphe Dana, mais ceux de Peter Stein et d’Alain Françon sont à mon programme. Avant ces deux titans de la scène, je me suis ouvert l’appétit avec deux jeunes metteuses en scène, Marie Benati et Déborah Chantob, qui ont présenté leur « Atrabilaire amoureux » à Ivry. Et ma foi, c’était mieux que bien ! J’ai même rarement entendu un Misanthrope sonnant de manière aussi actuelle.
La ligne directrice est la suivante : les personnages forment une bande. Une bande de jeunes, qui font la fête, aujourd’hui. Au début, avant même l’entrée dans la salle, les spectateurs sont invités à participer à la soirée d’anniversaire surprise de Célimène (jouée par Marie Benati). Cette soirée se poursuit sur scène, dans un décor seventies noir et blanc (meubles miroir, sièges en pastique moulé, chips de crevettes). Il y a des musiciens sur scène. Après sa grande tirade, Éliante (Déborah Chantob) prend le micro pour chanter « Ma salope à moi ». À un moment, les spectateurs se verront reflétés par le fond de scène ; sans doute Marie Benati et Déborah Chantob ont-elles vu La Règle du Jeu de Ch. Jatahy au Français, mais qu’importe : cela fonctionne.
Les choix de mise en scène reposent sur une lecture très fine du texte. En effet, les metteuses en scène ont tout simplement pris au sérieux cette réplique d’Alceste : « Quoi, l’on ne peut jamais vous parler tête à tête ? » Quand elles semblent s’écarter de Molière, c’est sans le trahir, car la ligne directrice est dans le texte. Ainsi, elles ont soigneusement évité tous les morceaux de bravoure, pour privilégier le collectif : il n’y a quasiment plus de scènes à deux personnages. Le dialogue d’exposition se donne sous le regard de tous les invités de Célimène, de même que la scène du sonnet d’Oronte, le dialogue des petits marquis est réparti entre trois d’entre eux, émergeant du sommeil après une soirée bien arrosée. Tout cela est fait très intelligemment, de façon aussi à évoquer la prégnance des réseaux sociaux où tout est immédiatement partagé. Lors de l’humiliation finale de Célimène, on voit Arsinoé (Clémence Lestang) filmer la scène sur son portable : belle idée, qui nous rend encore plus sensible à la singularité d’Alceste dans ce monde sans amitié authentique.
La jeune troupe ici rassemblée s’est montrée à la hauteur de ce propos, et de Molière. Marie Benati est une Célimène aiguë, vivant dans l’instant, froide au fond. Élie Salleron est un Alceste profond, avec une teinte autistique douloureuse, et de beaux éclats de colère. Les comédiens sont visiblement dirigés avec beaucoup de précision : à quelques exceptions près, pas un geste inutile, tout est ancré dans le dialogue, et le comique de la pièce est bien présent.
On souhaiterait que ce spectacle très soigné, intéressant, déjà très « pro », puisse avoir d’autres dates. Il serait idéal, par exemple, pour montrer aux lycéens que Molière n’a pas un grain de poussière sur le dos.