On peut voir les magnifiques photos d'Alfred WEIDINGER SUR/https://vernaculaire.com/derniers-rois-dafrique-alfred-weidinger/
Les études se sont succédé, mais on ne peut dire que la réflexion théorique sur les raisons qui sous-tendent cette imbrication ait beaucoup progressé, peut-être parce qu'on établit un champ du politique, puis un champ du « religieux, qu'ensuite on cherche à mettre en relation. Ne vaudrait-il pas mieux oublier cette distinction si \ naturelle à un esprit occidental en décidant de se préoccuper « du pouvoir », tout simplement ? Jeanne –Françoise Vincent .Princes Montagnards Du Nord Cameroun. L’Harmattan.
Les faits anthropologiques, tels qu’ils relèvent d’une constatation empirique des sociétés africaines, permettent d’élargir notre réflexion sur les faits politiques et enrichissent une théorie générale du politique. Ils nous obligent en retour à analyser nos propres concepts liés à notre propre histoire : l’État, la royauté, la nation, le politique, l’histoire linéaire , etc. La multiplicité des formes, complexes et hybrides du pouvoir, en Afrique traditionnelle, l’existence d’un pouvoir sacré voir magique ou sorcier, qu’on retrouve à la fois dans les sociétés « acéphales » et dans celles où le pouvoir est centralisé, interrogent notre conception d’une opposition binaire Etat /non Etat qui fonde la pensée politique « moderne à partir de Hobbes, soit la fondation de l’institution politique échappant à l’anarchie d’un état de nature. Ils interrogent aussi notre vision de l’histoire comme succession chronologique et linéaire en présence d’autres conception du temps de ces sociétés comme une histoire cyclique, des temporalités rituelles, l’organisation de la vie politique autour de calendriers. etc.)
« Frazer fut le seul, à notre connaissance, à inclure dans ce champ de réflexion la question de l'origine du pouvoir, et partant de l'institution politique.
Quoi qu'il en soit, tout expert en recettes, techniques et rites magiques, même si ceux-ci sont de la plus grande utilité publique, n'est pas pour autant un roi. S'il y a, pour certains magiciens et seulement pour certains, un devenir-roi, qu'en est-il donc de leur statut ? Un tel statut, lié nécessairement à une hiérarchie sociale, fût-elle réduite au simple dualisme du souverain et de son peuple, suppose que son possesseur ne se montre pas seulement capable d'exercer un pouvoir sur la nature, ce qui se réduirait à un acquis d'un apprentissage réussi, mais qu'il ait avec ce pouvoir un rapport si intime qu'on puisse le considérer comme une partie intégrante de sa personne et de celle-ci exclusivement. Et du même coup, un tel personnage se trouverait radicalement séparé du reste du corps social. » , Alfred Adler .Le Pouvoir Et L’interdit .Albin Michel
Classiquement, on distinguait deux types d’organisation sociale dans les sociétés africaines traditionnelles, soit séparés, soit coexistant dans des formes diverses selon les aleas de l’histoire :
Sociétés dites « acéphales », concept qui résultait de l’opposition traditionnelle, héritage de nos schémas de pensée en anthropologie entre sociétés sans Etat et sociétés avec Etat. Les sociétés acéphales seraient des sociétés qui ne seraient pas organisées sous une forme étatique, avec un pouvoir politique bien différencié. Elles sont aussi dites, soit segmentaires, soit lignagères. On a même parlé à leur propos d'« anarchies», pour les discréditer par ignorance et parce que la société coloniale privilégiait les sociétés disposant d'un pouvoir centralisé ; avec lesquelles on pouvait discuter et qui se chargeaient du prélèvement des impots par exemple. Le pouvoir colonial a, très tôt, affublé ces sociétés acéphales de chefs supérieurs et de chefs de village, pour les faire entrer dans une administration territoriale extérieure discréditant les chefs coutumiers. Avec les indépendances, la tendance ne s'est pas inversée, bien au contraire.
Les sociétés acéphales étant celles dépourvues d'Etat, au sens où nous l’entendons, ignorent le commandement politique d'un « chef » autre que celui de la communauté familiale et territoriale . L’organisation concerne les lignages, les clans, les villages, voire les classes d’âges (l’Est africain). Le territoire doit son identité à l’autorité sous laquelle il est placé et dont la légitimité est reconnue par tous ses occupants ou, à tout le moins, s’impose à tous quelle que soit la forme qu’elle revêt : instance réunissant les aînés de lignage et/ou des dignitaires détenteurs de fonctions rituelles éminentes (gérontocratie et/ou hiérocratie)
Un exemple les Kikuyu du Kenya où l'ensemble des pouvoirs était partagé par les "Anciens», les "guerriers" et quelques experts religieux, leaders de guerre ou "faiseurs de pluie". Ou encore conseils d’anciens superposés chez les Igbo du Nigéria. Un autre exemple type: la société Tiv, (Nigeria Et Cameroun) classique, société segmentaire, où le seul chef est l'Ancien de chacune des maisonnées. Dans une telle structure, chaque groupe de descendance occupe son territoire ; les unités familiales et politiques sont aussi multiples qu'égales entre elles.
PHOTO SOURCE https://answersafrica.com/kikuyu-tribe-people-and-culture.html
En fait, la structure la plus commune sera celle, où l'unité territoriale comprendra plusieurs groupes de descendance, dont l'un, celui du fondateur, donnera souvent. la lignée de ceux qu'on appellera les "chefs" ou les « maitres de la terre » Le fondement sacré est alors celui des ancêtres, dont l’ancêtre du clan fondateur qui peut être un animal totémique comme le python arc en ciel.)
Dans un texte suggestif sur les Tetela du nord Kasaï, Luc de Heusch décrit le fonctionnement de ces sociétés segmentaires, où tout pouvait se régler lors de palabres, y compris du temps de l’administration belge. Le pouvoir était investi d’ordre familial chez les Tetela ; il n’était que l’extension au niveau du lignage (plus ou moins étendu) du pouvoir du père. Il n’impliquait aucune mainmise sur les hommes et les produits de leur travail. Il se monnayait dans une économie de potlatch où il importait de se dépenser sans arrêt. Tout était simple affaire de prestige . Maître théorique de la terre le chef de tribu, pas plus que le chef de lignage, ne détenait de pouvoir magico-religieux. Seuls les devins-guérisseurs, regroupés dans la même association que les forgerons, avaient la faculté d’entrer en rapport avec les esprits errants de la nature (edimu) qui constituaient l’une des sources majeures du malheur et de l’infortune.
« Tranquillement, sans aucune solennité mais avec fermeté, les Tetela rendaient la justice à l’ombre d’un palmier, devant le vieux chef
Kokolomami étendu dans son transatlantique, très digne et comme détaché, tandis que les femmes indifférentes vaquaient à leurs travaux. Quelques badauds se rassemblaient autour des juges, chefs de lignage ou simplement hommes à la sagesse reconnue. Le plaignant, généralement, se plaignait de sa femme ou de son gendre.
La société yenge est de type segmentaire, comme l’ensemble du groupe linguistique tetela auquel les Yenge appartiennent : il est composé traditionnellement d’une multitude de communautés familiales autonomes, organisées sur le même modèle décentralisé. Chacune d’elles est désignée du nom de celui qui est censé être l’ancêtre fondateur. Pas de pouvoir central, pas de coercition physique, sinon en cas de meurtre. Nous sommes habitués à ce que le pouvoir réclame le tribut ou exige l’impôt : c’est là l’assise même de l’autorité politique. Eh bien, c’est exactement le contraire dans la société tetela traditionnelle. Les Aînés de lignage, à qui la qualification de « chefs » s’applique à vrai dire fort mal, sont tenus d’entretenir constamment leur prestige par des dons ostentatoires. Loin d’être autoritaire et accapareur de biens, l’Aîné doit se montrer généreux, dispenser nourriture et biens matrimoniaux, notamment à l’occasion des cérémonies de deuil qu’il organise en l’honneur d’un proche défunt. Mais surtout lors du grand potlatch d’investiture, qui lui donne le droit de danser une fois dans sa vie avec la peau de léopard. Les formes du pouvoir traditionnel en Afrique équatoriale. Luc de Heusch
« On apaise donc les conflits grâce au chef à peau de léopard, qui joue un rôle mineur dans le règlement d'autres affaires que celles d'homicide. On pourrait croire que ce fonctionnaire jouit d'une grande autorité, mais il n'en est rien
Si l'on s'en rapporte aux quelques notations que les premiers voyageurs nous ont laissées sur ce point, il n'apparaît pas que les Nuer aient connu des personnages de grande autorité 1. Les premiers officiers britanniques qui pénétrèrent chez eux exposent en termes très nets cette absence de personnalités investies d'une autorité suffisante, ou (à l'exception de quelques prophètes) assez influentes pour qu'on pût appuyer sur elles un système administratif. Ces tout premiers rapports 2 nous décrivent des « sheikhs » sans grand ascendant, en qui nous pouvons sans doute reconnaître les chefs à peau de léopard, comme les Européens les appelèrent par la suite.
Je soutiens que voir dans le chef à peau de léopard un agent politique ou une autorité judiciaire, c'est mal comprendre la constitution de la société nuer, c'est s'aveugler sur ses principes fondamentaux : il me faut donc rendre raison du rôle que le chef joue dans le règlement des différends. Nous avons vu qu'il ne détient aucune autorité judiciaire ni exécutive. Connaissant d'un homicide, « n'est pas chargé de décider du bien-fondé de la cause. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un Nuer qu'on réclame là un jugement. De même il n'a aucun moyen de contraindre les gens à livrer ou accepter le bétail de sang. Il n'est pas épaulé par des parents puissants, ni par une populeuse' communauté. Médiateur il est, sans plus, dans une situation particulière, et médiateur heureux pour la seule raison que l'une et l'autre partie reconnaît les liens communautaires du moins pour l’heure et souhaite éviter l’aggravation des hostilités. Evans-Pritchard .les Nuers tel. Gallimard.
Les Dinka, voisins des Nuers, peuple nilotique d'agriculteurs-pasteurs du Sud Soudan n’avaient de même aucune organisation politique constituée mais des médiateurs de conflits à l’intérieur des clans. Il existait cependant deux catégories de clans et une hiérarchie entre elles : les bany, ceux qui exercent des fonctions rituelles particulières, une sorte de prêtrise, et dont le symbole était la lance sacrée de pêche, et les kic , les clans du commun, ceux qui fournissaient aussi les guerriers. Un sous clan des premiers avait pour prérogative la maîtrise de la terre et un autre celle de détenir la fonction de « maître de la lance de pêche ». Ces deux dignitaires tribaux étaient dans un rapport d'oncle à neveu utérin, la position aînée et donc prééminente étant évidemment dévolue au « maître de la lance de pêche ».Parmi les clans guerriers, l’un des sous clans détenait la fonction de maître de la guerre.
De très belles photos des Dinka sur: jean-marc.killian.overblog.com/2015/05/les-dinka-un-groupe-ethnique-nilotique-merveilleux-du-soudan.html
Un dernier exemple concerne les Maka de l’est de Cameroun étudié par Peter Geschiere du point de vue de la sorcellerie. Les Maka présentent l’intérêt du passage entre deux formes d’organisation :une forme profondément égalisatrice et rebelle(ils opposèrent une résistance farouche aux Allemands, premiers colonisateurs du Cameroun), jusqu'à leur soumission et l’imposition de l’ordre colonial centralisé. L’ordre traditionnel des Maka présentait tous les traits d’une « société segmentaire », « tribale », constituée de petits villages de familles (probablement une centaine d'habitants) complètement autonomes. Entre ces villages, il y avait bien sur toutes sortes d'échanges —-entre villages apparentés, mais sans aucune autorité. Chaque village était formé autour d'un segment patrilinéaire où les ainés regroupaient femme et enfants dans une case des ainés et exerçaient leur autorité sur eux. Ils formaient un conseil des ainés pour gérer les affaires du village.
A l’époque des « indépendances », le pouvoir politique nouveau se moula sur cette organisation en s’appuyant sur le parti unique et une élite scolarisée et urbanisée. Une administration toujours plus centralisée (ministres, préfets, sous-préfets, chefs de canton etc., issue du parti unique ,va alors anéantir toujours plus le pouvoir des anciens et monopolisa les marques de prestige traditionnel (la polygamie) et contemporain (la Mercedes)
Il semble donc qu'on ne puisse pas parler de "chefferie" lorsque chaque « chef » n'est que le représentant de son groupe et de quelques éléments étrangers sur son territoire ancestral . Il n’y a véritable chefferie que lorsqu'un groupe de parenté étend sa domination à l'extérieur de son territoire d'origine. Il y a alors recherche d'un monopole du pouvoir sur l'ensemble des communautés territoriales du groupe ethnique. Qu’est-ce donc qui va constituer une chefferie ou un royaume ?(celui-ci n’étant qu’une extension du premier type et un degré supplémentaire de centralisation. ? Quel élément nouveau donne au chef ou roi son véritable statut? On peut énumérer plusieurs caractères :
Le caractère héréditaire et permanent mais à situer à l’échelle du lignage royal , (parce que celui d’un chef ou roi particulier reste temporaire, fragile, voire épisodique, avec des interrègnes qui peuvent être très longs). Une première condition nécessaire mais qui n'est pas suffisante, car tout chef de famille ou de clan, certains experts religieux, comme "l'homme à peau de léopard" des Nuer, ont des fonctions présentant ce caractère.
Le second caractère d'une chefferie sera sa dynamique spatiale, c'est-à-dire le mouvement d'expansion d'un groupe(conquête ou migration) à l'extérieur de son territoire ancestral.
On voit que la question du pouvoir centralisé concerne en premier lieu la maitrise de l’espace. Au maitre premier et producteur de la terre vont se superposer les « gens du pouvoir », maitres d’un espace politique par la centralisation.
Les évolutionnistes ont théorisé cet avènement comme le passage d’une organisation sociale fondée sur les liens de parenté (ou du sang, comme on disait communément) à des chefferies ou royauté, accompagnée ou non d’une administration à caractère étatique, dotées de prérogatives impliquant une certaine capacité d’exercer des contraintes sur la population aux fins de maintien de l’ordre.
La domination d’un roi est souvent, à l’origine, le fait d’une migration (Abomey, Moundang ) ou d'une conquête (les Moose ou Mossi) qui s'imposent par la force ou par le prestige, de la part d'un groupe étranger. Le groupe conquérant ou dominant contrôle les rouages, de l'appareil de domination: appareil militaire, fonctionnaires royaux, commandement des villages dépendants,(les enfants du roi sont chefs de village), associations et conseils, sans pour autant que ce contrôle soit absolu et n'autorise pas l'existence de contre-pouvoirs, celui des maitres de la terre , par exemple.
En réalité le système est plus complexe que la simple domination de conquérants. Les lignages et clans coexistent avec ce pouvoir étranger, dans des syncrétismes divers qui font que le despotisme reste absent. Ainsi le roi d’Abomey s’il impose un culte d’Etat et le vodun (panthère) de son lignage ,intègre dans le panthéon , les vodun des ethnies soumises.
Des envahisseurs guerriers, les Moose,(Mossi) ont constitué au Burkina Faso un ensemble de royaumes dont l'un des plus importants est celui du Yatenga. Le roi du Yatenga disposait d'un nombre considérable de serviteurs et d'officiers du palais à sa dévotion ; il régnait effectivement sur un ensemble de villages où le pouvoir était aux mains des gens de son lignage, détenteurs comme lui de l'autorité naam ,de nature héréditaire. Pourtant, pour être légitime et dispensateur de bienfaits, pour n’être pas seulement chef mais roi (rima),il était censé posséder la « puissance » (panga) qui sacralisait son pouvoir et qui n’était reçue que lors de l’intronisation .Celle-ci ne s’obtenait qu'au terme de l’alliance avec les maîtres de la terre appartenant dans chaque village, à des groupe autochtones, jamais à celui des « gens du pouvoir »
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Autre exemple, celui des Moundang du Tchad .Etre Moundang ,c’était d’abord être membre d’un clan autochtone mais au 18ème siècle apparait un état royal autour de la ville de Léré. Il fut, d’après certains historiens, le résultat d’éléments migrants suite à l’éclatement d’un empire central. Le mythe fondateur raconte une toute autre histoire. Celle d’un pays où le chef de terre, peu efficace et pingre , se voit supplanté par Damba, héros fondateur étranger, prince fugitif d’un autre royaume et chasseur performant à qui les clans confient délibérément le pouvoir en échange de dons abondants de viande ; il devint ainsi chef de Leré (Gö-Lere) sous le nom de Daba et sa lignée (Gö-Daba)règne encore. On trouve assez fréquemment en Afrique, dit Alfred Adler, des mythes d'origine qui sont à la fois des récits de création de la terre et de l'humanité primitive qui l'a peuplée ou des récits qui décrivent le passage d'un mode de vie à un autre considéré comme supérieur. L'histoire de Damba correspond à cette fonction. Le héros ne crée point ex nihilo mais donne forme — une forme supérieure, plus achevée — à ce qui existe déjà. Damba devient le roi d'une population jusqu’ici organisée en clans patrilinéaires et porteurs de noms de type « totémique » mais numériquement faible, pauvre en ressources et dotée d'une organisation politique rudimentaire, c'est-à-dire seulement clanique. Lui succéda ainsi un royaume fort capable de tenir tête aux Peuls, desquels il emprunta par ailleurs nombre de modes de vie.
La conquête ou la migration sont remplacées symboliquement et légitimée dans le mythe par un système de contre/don (le don de viande par Damba symbole d’abondance) où le détenteur du pouvoir doit d’entrée être un dispensateur de fertilité et de prospérité.
Dans « La Mort Est Le Masque Du Roi », Alfred Adler montre comment la royauté moundang s’articule au système des clans. Face au roi, seul personnage hors clan mais aussi, en tant qu'étranger, hors terre, les Moundang, maîtres du sol, sont organisés en clans patrilinéaires et exogames. Pour ne pas risquer de déstabiliser « l'alliance inaugurale » entre les anciens et Damba, aucun clan ne doit se lier de manière privilégiée au roi. D’autre part le clan royal d’origine va subir un processus de roturisation. Au bout de trois générations, les descendants des fils de roi se perdent dans le peuple. Les princes obtiennent la chefferie d'un village mais les fils qui leur succèdent n'ont que le simple titre de « chef de lance » ; et les fils de ces derniers seront supplantés par l'arrivée de nouveaux princes aux postes de commandement. Ce processus d'extinction des lignées de souche royale empêche la constitution d'une aristocratie qui déséquilibrerait l'harmonie duelle du système. Les clans eux sont strictement sans ordre hiérarchique, à part quelques fonctions rituelles. Le système est continuellement en tension centrifuge et centripète :Comme exemple entre ces deux pouvoirs, l'auteur expose les manières divergentes dont ils administrent la justice. La loi clanique affirme le droit à la vengeance, comme chez les Nuers, elle produit des scissions. le pouvoir royal a une action centripète et unificatrice. C’est pour cette raison que le roi est « hors clan.
« L'exemple mofu invite à considérer politique et religieux comme les visages différents d'une même réalité . ….« Dans les grandes chefferies, être prince c'est se doter d'un surplus de sacralité en affirmant le caractère supérieur de son » esprit de la montagne » (mbolom).
..« Sans lui, pas de fêtes religieuses sur l'ensemble de la chefferie. Ses responsabilités ne s'arrêtent pas là. Il offre lui aussi des sacrifices, valables cette fois pour toute l'unité politique qu'il commande. Seul, en particulier, il peut se charger des sacrifices amenant : les pluies et, inversement, des rites pouvant les arrêter. C'est là seulement, en s 'affirmant comme « maître de la sécheresse » — bienfait parfois, fléau le plus souvent — qu'il agit véritablement en prince. Non seulement chez les Mofu le pouvoir a partie liée avec le sacrifice mais une dimension symbolique lui est indispensable.
Le prince de Wazang, interrogé sur son rôle, commençait par- rappeler; la nature de son pouvoir. « Je commande ma montagne », expliquait-il. Mewey, « commander » signifiant littéralement « mesurer largement », le prince est celui qui maintient son groupe dans un cadre, dans des normes, en compensant cette rigueur, par une générosité qui est sa marque distinctive. Et le prince de Wazang illustrait ses explications sur ce « commandement » en poursuivant : « Je suis chef des sacrifices; Personne ne peut commencer à célébrer une fête si je ne l'ai pas dit;.» Il n'est pas indifférent' de constater, qu'entre toutes les responsabilités d'un prince — agricole et économique, judiciaire ou guerrière — le prince de Wazang choisissait de parler d'abord de son: pouvoir en matière religieuse. » Vincent Jeanne-Françoise. Le prince et le sacrifice : pouvoir, religion et magie dans les montagnes du Nord-Cameroun. In: Journal des africanistes, 1986, tome 56, fascicule 2
Celui-ci se construit en théorie,(en pratique toutes les formes et tous les syncrétismes sont possibles), en rupture avec l'ordre symbolique premier tel que l'anthropologie (Levi-Strauss)l’a étudié , celui des rapports de parenté et des règles de mariage exogamique ; rupture aussi avec les principes de l'organisation territoriale autour des groupes de descendance, familles domestiques ou étendues , lignages et clans. Cette symbolique du pouvoir comme sacré est donc à distinguer de l’étendue et de la nature réelle de ce pouvoir : despote régnant sur des multitudes ou chef spirituel veillant seulement sur une petite communauté ne comprenant que quelques villages. Un tel pouvoir sacré peut émerger, y compris chez les Nuers, lorsque des envahisseurs menacent. Des prophètes, personnages en contact avec les ancêtres et le monde des forces invisibles réalisent alors l’union de plusieurs tribus pour les combattre .
L'instauration d'un tel statut est concomitante de ce que nous désignions comme un « ordre symbolique nouveau », un ordre du second degré résultant d'un retournement de l'ordre symbolique premier. Nous sommes ainsi poussé vers un raisonnement analogique qui semble s'imposer : de même que toute analyse d'un système particulier de rôles et d'attitudes de parenté exige que l'on remonte à la règle de prohibition de l'inceste qui est au principe de l'échange matrimonial, les règles spéciales qui sont appliquées à la personne du souverain — le meurtre rituel au terme d'une période donnée et, bien sûr, l'union incestueuse et toute autre forme de transgression ou d'interdit — trouvent leur fondement dans un retournement ou un certain brouillage (d'où, par exemple, la grande fréquence de l'assimilation du roi à un jumeau) de l'ordre symbolique premier. Dès lors, si nous cherchons à mettre au jour ce que nous appellerons les composantes élémentaires de la puissance royale, nous dirons que celles-ci nous sont données en négatif avec les éléments relevant d'un ordre symbolique nouveau. Celui-ci, en effet, se construit en rupture avec l'ordre symbolique premier tel que l'anthropologie nous permet de le concevoir". Alfred Adler .Le Pouvoir Et L’interdit .Albin Michel