Avant de décrocher le Goncourt des Lycéens en novembre 2017, Alice Zeniter avait déjà obtenu, avec ce roman paru en août,
le Prix des libraires de Nancy et des journalistes du Point, le Prix littéraire du Monde
et le Prix Landerneau des lecteurs. C’est dire si les évidentes
qualités de ce livre ont eu des occasions d’être mises en évidence. Dire aussi s'il faut réserver un gros morceau de la couverture, pour la réédition au format de poche, à la mention de ces récompenses.
La romancière décrit la quête d’une jeune femme, Naïma, qui cherche
à savoir et à comprendre ce qui est arrivé dans sa famille pendant la Guerre
d’Algérie, de 1954 à 1962. Tous les événements
survenus avant l’arrivée en France ont été noyés dans le silence et
Naïma ne sait presque rien de son grand-père Ali. Il avait choisi le camp
français, un peu par défaut : son concurrent local, l’autre puissant du
village, soutenait le FLN et il semblait impossible de se trouver du même côté.
La suite a été une succession de catastrophes : la
fuite d’un pays où, après l’indépendance, Ali risquait sa vie, l’installation
dans une France qui l’accepte mal, ainsi que tous ceux qui lui ressemblent, une
vie étriquée et une adaptation difficile. Donc, autant ne pas évoquer les
raisons de la déchéance…
Naïma, qui travaille dans une galerie d’art et par ce biais
est amenée à voyager, pour la première fois, en Algérie, ne s’en contente pas.
Elle met au jour les contradictions qui ont tant pesé sur le passé qu’elles
font encore sentir leurs effets aujourd’hui. Elle décèle, en découvrant les
terres sur lesquelles elle aurait pu vivre si les choses avaient été
différentes, les germes d’une animosité elle non plus pas éteinte.
La position de la romancière et de sa narratrice consiste à
ne pas prendre position et à mettre les questions en évidence : « entre ces poussières, comme une pâte,
comme du plâtre qui se glisserait dans les fentes, comme les pièces d’argent
que l’on fond sur la montagne pour servir de montures aux coraux parfois gros
comme la paume, il y a les recherches menées par Naïma plus de soixante ans
après le départ d’Algérie qui tentent de donner une forme, un ordre à ce qui
n’en a pas, n’en a peut-être jamais eu. »
On est loin, très loin, avec L’art de perdre, des lectures que l’on suppose, quand on en ignore tout, aux
grands adolescents – nourris au manga, à Harry Potter ou à ses successeurs et à
la nourriture bio ? Les lycéens sont prêts, de toute évidence, à affronter
des problèmes délicats, à ne pas se laisser dicter des opinions définitives et
à défendre le sens des nuances dont Alice Zeniter fait un si bel usage. C’est
plutôt rassurant, non ?