Farah Atassi, les ornements entropiques

Publié le 29 janvier 2019 par Thierry Grizard @Artefields

Farah Atassi, ornements anamorphiques !

Depuis que Farah Atassi a quitté la peinture descriptive d’espaces désolés aux connotations narratives inspirées de photographies de maisons communautaires russes (voir notre article), la méthode employée se répète immuablement. Une technique qui tient lieu de procédure et où l’objet de la pratique est la praxis même de la peinture dans sa singularité (picturalité).

Farah Atassi commence par un dessin perspectiviste, aux fuyantes fréquemment très accentuées. Les prémices sont donc illusionnistes, ils simulent la profondeur sur une surface plane. Ensuite, selon une grille distribuée uniformément sur le plan de la toile l’artiste applique, on pourrait même dire, appose un motif récursif. L’itération ornementale en « all over » nie donc l’espace perspectiviste. La planéité du plan pictural est comme projetée indifféremment jusqu’à parvenir à des distorsions visuelles inévitablement proches de l’Op Art, ou à l’image des projections de Georges Rousse et rappelant quelque-fois les découpes en aplat de Gordon Matta Clark.

Les œuvres de Farah Atassi sont comme des anamorphoses où le point de vue est, par conséquent, déjà fixé sur la toile. Ce qui constitue un paradoxe ! En effet, en surimposant des figures ornementales en deux dimensions sur une construction simulant les trois dimensions, Farah Atassi annule par contamination la toile comprise comme « veduta », pourtant dans le même temps l’effet de projection suggère un point de vue anamorphique impliquant la profondeur.

Enfin, pour mieux brouiller les pistes l’artiste peintre dissémine sur le plan de ce qui tient lieu de « sol » des objets hors d’échelle, en général des citations des productions du design moderniste (maquettes de bâtiments, jouets avant-gardistes, etc.). Les incohérences d’échelles d’un point de vue réaliste, (et donc kitsch selon Clement Greenberg, toujours sous-jacent chez Farah Atassi), constituent l’autre biais par lequel elle maintient la vigueur de sa peinture paradoxale.

Farah Atassi et le modernisme

La peinture figurative de Farah Atassi est composée dans son aspect anecdotique, presque narratif, de citations du modernisme au sens large, cependant son motif est bien la peinture en tant que telle à travers le prisme de l’histoire des formes révélées à travers la critique exercée par les avant-gardes.

Une démarche paraissant toute greenbergienne, qui semble expulser du champ du pictural représentation et narration. La peinture selon le critique d’art américain, saisie dans sa définition « transcendantale » se réduit par l’analyse critique à ce qui fait sa seule spécificité. Or selon Clement Greenberg quand la peinture est « purifiée » des accidents historicistes, idéologiques ou logiques, elle se résume et ne doit donc être appréhendée que selon ses moyens exclusifs, à savoir, l’absence de relief : la planéité, la couleur, la surface et le cadre, on pourrait ajouter de manière plus équivoque et moins spécifique la ligne ainsi que le geste et le dynamisme.

Le travail de l’artiste belge pourrait donc passer pour une sorte d’application méthodiquement ironique des préceptes du modernisme étroit de Clement Greenberg. Or l’ironie est précisément la distance qui autorise Farah Atassi à combiner toutes les avant-gardes et les problèmes théoriques associés en sources inépuisables de formes devenues, selon cette perspective, équivalentes. Il y a dans son travail un effet adjacent d’entropie de la visualité (à l'opposé du visible, de la représentation comme dévoilement, cf Gerhard Richter), un chaos décoratif et isotopique produit suivant une méthode stricte qui rappelle les machines délirantes de l’Art Brut.

Figures libres de l’ornement

Malgré l’appel à Clement Greenberg, l’œuvre de Farah Atassi n’est pas abstraite, elle est à ranger du côté de la figuration, d’une sorte de figuration libre. Elle reprend, en effet, le thème très Pop Art, Bad Painting et Figuration Libre du retour au réel matériel (la société de consommation et de communication de masse) tout du moins dans ses signes.

Ce qui la préoccupe, néanmoins, ce ne sont pas ces signes consuméristes, mais ceux de l’histoire de la peinture moderne, y compris dans son opposition au vernaculaire, au folklore, (le kitsch greenbergien). Or précisément avec humour et ironie Farah Atassi emprunte aux folklores des formes aux allures parfois amérindiennes, voire bavaroises, qu’elle simplifie suivant la syntaxe et le vocabulaire moderniste (Purisme, Cubisme, Rayonnisme, Primitivisme, Cubofuturisme, Constructivisme, Suprématisme, mais ce pourrait être aussi Kupka, le grand absent des citations atassiennes).

En convoquant le modernisme de manière syncrétique, purement formelle et sans souci de cohérence théorique elle agit en peintre post-moderne, les signes modernistes, chargés sémiotiquement, ne sont plus que des forme-signes propices à une contamination ornementale hybride, entre planéité et profondeur, suggérant paradoxalement un point de vue anamorphiques unique, celui de Farah Atassi se délectant des formes du modernisme qui aujourd’hui peuvent passer pour aussi anecdotiques que toute autre forme du passé.





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