En bonne fan de Queen, je trépignais d’impatience lorsque l’on m’a annoncé un biopic sur Freddie Mercury. Deuxième effet Kiss Kool : le rôle-titre revenait à Rami Malek – qui me provoque des frémissements d’émoi depuis Mister Robot –, après plusieurs années à spéculer sur l’attribution du rôle à Sacha Baron Cohen, ce qui m’aurait personnellement fait chier. Je m’en expliquerai par la suite.
Après donc plusieurs années de hype ininterrompue, et malgré le renvoi de Bryan Singer pour cause d’affaires de détournements de mineurs, Bohemian Rhapsody est donc sorti sur les écrans français en date du 31 octobre 2018. Je l’ai donc vu à titre personnel avec le Mari et la Siamoise le 7 décembre, en attendant que la hype soit bien redescendue.
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Pitch Allociné : Bohemian Rhapsody retrace le destin extraordinaire du groupe Queen et de leur chanteur emblématique Freddie Mercury, qui a défié les stéréotypes, brisé les conventions et révolutionné la musique. Du succès fulgurant de Freddie Mercury à ses excès, risquant la quasi-implosion du groupe, jusqu’à son retour triomphal sur scène lors du concert Live Aid, alors qu’il était frappé par la maladie, découvrez la vie exceptionnelle d’un homme qui continue d’inspirer les outsiders, les rêveurs et tous ceux qui aiment la musique.
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Mon humble avis : Là aussi, j’ai eu deux effets Kiss Kool. Un à la visualisation, l’autre quand je me suis mise à réfléchir au traitement de l’information du groupe et à la manière dont des membres survivants d’un groupe parlent de celui/ceux qui est/sont mort/s et qui avai/en/t un poil plus de charisme que les survivants – prenons au hasard les Beatles, d’où mon histoire de « syndrome Paul McCartney ». Mais on peut aussi faire l’analogie avec les Beach Boys, mais le Mari sera d’autant plus à même de le faire.
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– Premier effet Kiss Kool : Je suis donc dans la salle de cinéma avec la Siamoise à droite et le Mari à gauche. La Siamoise regarde et loue la performance des acteurs. Le Mari regarde et peste déjà contre les « erreurs factuelles du scénario » (entre les marques de guitare, qui a composé quoi, les relations entre les membres de Queen et la chronologie des événements, le film en est évidemment gavé, j’y reviendrai). Je regarde et je suis en mode karaoké, parce que Queen relève du pavlovien pour moi.
En sortant, le Mari est fou de rage et la Siamoise dit que toutes ces erreurs factuelles ne sont pas graves, si elles peuvent faire découvrir la discographie de Queen aux profanes. Quant à moi, je tente de raisonner le Mari en lui disant que les spectateurs du film n’ont pas vu tous les documentaires, n’ont pas tous les lives et toutes les compilations à la maison et ne vont pas jusqu’à comparer les lives de Wembley, de Budapest et de Knebworth sur la tournée Magic. Je lui explique que, de surcroît, Freddie Mercury est devenu assez culte pour être enfermé dans une doxa collective et que les spectateurs s’attendaient aux fêtes cocaïnées, aux clichés les plus pédés qui soient et au spectre du SIDA.
A ce propos, puisqu’on parle des pains dans la chronologie des événements, on va rentrer dans une
ALERTE SPOILER
Je disais donc : si on veut parler du spectre du SIDA, le choix de clore le film par le Live AID (1985) est une connerie monumentale. Il est admis qu’il a été diagnostiqué comme séropositif en 1987, soit deux ans après ce concert. De surcroît, certains faits de vie de Freddie Mercury ont été rushés de la sorte dans le scénario – notamment l’interview surréaliste de Paul Prenter, assistant de Mercury, qui a vidé son sac à la télé en … 1987. Et Jim Hutton n’a rencontré Mercury qu’en 1985.
Ce qui peut faire surtout tiquer – et c’est ce foutage de gueule monumental qui a hérissé le poil du Mari –, c’est que le scénario du film n’est pas seulement tiré des souvenirs des protagonistes encore vivants, mais suit le scénario de Purple Rain. En gros, pour tirer des ficelles scénaristiques, il fallut montrer Mercury comme un gros égocentrique (ce qui était certainement vrai, mais passons) au point de faire exploser le groupe pour enregistrer tout seul et revenir comme un con pour le Live AID. Il est admis que non : le groupe ne s’est jamais séparé, juste Roger Taylor, puis Freddie Mercury, puis Brian May ont eu des projets personnels sans que cela ne gêne les trois autres. De surcroît, personne ne s’est fâché, même si on peut ressentir dans la carrière quelques ressentiments entre Brian May et John Deacon.
Bref, j’étais plutôt « calme » quant à mon ressenti par rapport au film. Et puis je me suis mise à réfléchir…
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– Deuxième effet Kiss Kool : l’une des raisons pour laquelle je ne supporte pas Paul McCartney et que le Mari en veut à l’intégrité physique de Mike Love, c’est que ces deux personnages sont désormais les icônes de respectivement les Beatles et les Beach Boys au point de tirer la couverture vers eux. Pourquoi cette réflexion ? Le Mari et moi-même avons eu l’impression que c’était exactement ce qu’avait fait Brian May avec Bohemian Rhapsody. Car oui, avec Roger Taylor, ils ont été les garants « artistiques » du projet. J’en veux pour preuve la tentative du film, selon moi, de faire passer John Deacon pour un con. Le brave John Deacon qui a décidé depuis 25 ans de s’enfermer, de ne plus parler, et donc qui n’a aucun droit de regard sur le film.
Plus je réfléchis, et plus je vois Bohemian Rhapsody comme une tentative de Brian May de faire passer le message suivant : Ouais, bon, Freddie était insurmontable en termes de charisme et de mélodies, toussa, mais il n’a pas bossé tout seul ! J’étais là, merde ! Regardez-moi ! Regardez-moooooooi ! J’ai même eu un débat assez vif avec le Beau-frère sur la véritable implication de Brian May dans le groupe. Pour lui, Brian May en tant que guitariste, était un arrangeur whaou et mériterait un autre traitement. Si on connaît bien la disco de Queen et la dynamique du groupe, on s’aperçoit que certes, ils ont tous composé parfois des morceaux cinglés, mais à l’arrangement final, c’était toujours Mercury. TOU. JOURS.
A titre personnel, sachant cela, je considère davantage Brian May comme un sublime bras armé que comme un faiseur de génie. Cela n’enlève rien à son talent – il fallait quand même les jouer, les soli de guitare. Malgré tout, il faut le souligner : Brian May, Roger Taylor et John Deacon étaient certes de très bons musiciens avec d’excellentes idées de chansons, mais je le répète, que pouvaient-ils faire face à ce monstre de charisme qu’était Freddie Mercury ?
Alors certes, Brian May essaie de sortir tardivement de son ombre en produisant un témoignage subjectif, mais un film tel que Bohemian Rhapsody voue à l’échec cette tentative. Parce que la vie de Freddie Mercury est passée à la moulinette de Hollywood et qu’il fallait bien que son histoire corresponde à une typologie déjà exploitée – d’où ma comparaison avec Purple Rain. On pourrait reprocher à ce titre à Brian May un traitement putassier, d’autant qu’avec des moyens non-hollywoodiens, on aurait pu se retrouver avec un bon biopic à la Nowhere Boy (Sam Taylor-Johnson, 2009), que le Mari recommande chaudement.
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À qui la faute, au final, de mon ressentiment face à Bohemian Rhapsody ? Pas forcément aux acteurs – la direction d’acteurs, en dépit du changement de réalisateur, est très bonne –, ni même à Brian May – je suis certaine que lui-même se pose malgré tout des questions quant à la restitution des faits que le film donne. Je pense que le biopic à la sauce hollywoodienne semble ne pas survivre sans poncifs et sans explosion du sens de la mesure. Tant qu’Hollywood traduira des histoires humaines de manière TRÈS manichéenne, tant qu’il ne traduira pas une destinée glorieuse sans son lot d’étapes à franchir, et tant pis pour la vraisemblance, laisser ses producteurs faire la vie d’une légende de la musique telle que Freddie Mercury s’avérera un exercice casse-gueules. A ce titre, je n’ai VRAIMENT pas hâte d’un biopic sur Michael Jackson.
Et pourtant, il existe des biopics qui prennent le parti d’être vraisemblables (Nowhere Boy sus-cité) ou prenant le contrepied de la vie et de la carrière de l’artiste pour mieux en faire ressortir les aspects saillants (Le Jean-Philippe de Laurent Tuel, 2006, que je cite aussi de réputation, puisque le Mari l’a adoré). De surcroît, Freddie Mercury jouit déjà d’une aura assez putassière pour ne pas se permettre ce genre de traitement.