Benoît XVI, Homélie pour la fête des Saints Pierre et Paul 2008

Publié le 09 juillet 2008 par Walterman
Texte intégral


ROME, Lundi 7 juillet 2008 (ZENIT.org). - Nous publions ci-dessous l'homélie prononcée par le pape Benoît XVI en la solennité des saints Pierre et Paul, lors de la messe dans la basilique Saint-Pierre, le 29 juin dernier, et en présence du patriarche oecuménique de Constantinople Sa Sainteté Bartholomaios Ier :

Votre Sainteté et délégués fraternels,
Messieurs les cardinaux,
Vénérés frères dans l'épiscopat et dans le sacerdoce,
Chers frères et sœurs!

Depuis les temps les plus anciens l'Eglise de Rome célèbre la solennité des grands Apôtres Pierre et Paul comme une unique fête le même jour, le 29 juin. A travers leur martyre, ils sont devenus frères; ensemble ils sont les fondateurs de la nouvelle Rome chrétienne. C'est comme tels que les chante l'hymne des secondes Vêpres qui remonte à Paulin d'Aquilée (†806)! «O Roma felix - Rome heureuse, ornée de pourpre par le sang précieux de Princes aussi grands. Tu dépasses toutes les beautés du monde, non par ton mérite, mais par le mérite des saints que tu as tués par l'épée sanglante». Le sang des martyrs n'invoque pas vengeance, mais il réconcilie. Il ne se présente pas comme une accusation, mais comme une «lumière dorée», selon les paroles de l'hymne des premières Vêpres: il se présente comme force de l'amour qui dépasse la haine et la violence, en fondant ainsi une nouvelle ville, une nouvelle communauté. Par leur martyre, ces derniers - Pierre et Paul - font à présent partie de Rome: à travers le martyre, Pierre aussi est devenu un citoyen romain pour toujours. A travers le martyre, à travers leur foi et leur amour, les deux Apôtres indiquent où se trouve la véritable espérance, et sont les fondateurs d'un nouveau genre de cité, qui doit se former toujours à nouveau au sein de la vieille cité humaine, qui reste menacée par les forces contraires du péché et de l'égoïsme des hommes.

En vertu de leur martyre, Pierre et Paul sont en relation réciproque pour toujours. Une des images préférées de l'iconographie chrétienne est le baiser des deux apôtres en marche vers le martyre. Nous pouvons dire: leur martyre lui-même, au plus profond, est la réalisation d'un baiser fraternel. Ils meurent pour l'unique Christ et, dans le témoignage pour lequel ils donnent la vie, ils sont un. Dans les écrits du Nouveau Testament nous pouvons, pour ainsi dire, suivre le développement de leur baiser, de cette façon de créer l'unité dans le témoignage et dans la mission. Tout commence lorsque Paul, trois ans après sa conversion, va à Jérusalem, «pour faire la connaissance de Pierre» (Ga 1, 18). Quatorze ans plus tard, il monte de nouveau à Jérusalem, pour exposer «aux personnages les plus importants» l'Evangile qu'il prêche, pour ne pas prendre le risque de «courir pour rien, ni avoir couru jusqu'à présent pour rien» (Ga 2, 1sq). A la fin de cette rencontre, Jacques, Céphas et Jean lui donnent la main droite, confirmant ainsi la communion qui les rassemble dans l'unique Evangile de Jésus Christ (Ga 2, 9). Un beau signe de ce baiser intérieur qui s'étend, qui se développe malgré la diversité des tempéraments et des tâches, est le fait que les collaborateurs mentionnés à la fin de la Première Lettre de saint Pierre - Silvain et Marc - sont des collaborateurs tout aussi proches de saint Paul. La communion de l'unique Eglise, le baiser des grands Apôtres, est rendue visible de manière très concrète dans la communauté des collaborateurs.

Pierre et Paul se sont rencontrés au moins deux fois à Jérusalem; à la fin, leurs deux parcours débouchent à Rome. Pourquoi? Est-ce là plus qu'un pur hasard? Un message durable y est-il contenu? Paul arriva à Rome comme prisonnier, mais dans le même temps comme citoyen romain qui, après son arrestation à Jérusalem, avait précisément, en tant que tel, fait recours à l'empereur devant le tribunal duquel il fut conduit. Mais dans un sens encore plus profond, Paul est venu volontairement à Rome. Grâce à la plus importante de ses Lettres, il s'était déjà approché intérieurement de cette ville: il avait adressé à l'Eglise de Rome l'écrit qui, plus que tout autre, constitue la synthèse de toute son annonce et de sa foi. Dans le salut initial de la Lettre, il dit que le monde entier parle de la foi des chrétiens de Rome, et qu'elle est donc connue partout comme exemplaire (Rm 1, 8). Il écrit ensuite: «Je ne veux pas vous le laisser ignorer, frères: j'ai bien souvent eu l'intention de venir chez vous» (1, 13). A la fin de la Lettre, il reprend ce thème en parlant à présent de son projet d'aller jusqu'en Espagne: «Quand je me rendrai en Espagne, en effet, j'espère bien que je vous verrai en passant, et que vous m'aiderez pour me rendre là-bas quand j'aurai d'abord un peu profité de cette rencontre avec vous» (15, 24). «Et je sais bien que ma venue chez vous sera comblée de la bénédiction du Christ» (15, 29). Deux choses apparaissent ici de manière évidente: Rome est pour Paul une étape sur la voie vers l'Espagne, c'est-à-dire - selon sa conception du monde - vers la partie extrême de la terre. Il considère comme sa mission de réaliser la tâche reçue du Christ d'apporter l'Evangile jusqu'aux frontières extrêmes du monde. Sur ce parcours se trouve Rome. Alors que généralement Paul ne se rend que dans les lieux où l'Evangile n'est pas encore annoncé, Rome constitue une exception. Il y trouve une Eglise dont la foi parle au monde. Aller à Rome fait partie de l'universalité de sa mission comme envoyé à tous les peuples. Le chemin vers Rome, que déjà avant son voyage extérieur il a parcouru intérieurement grâce à sa Lettre, fait partie intégrante de sa tâche d'apporter l'Evangile à toutes les nations - de fonder l'Eglise catholique, universelle. Aller à Rome est pour lui l'expression de la catholicité de sa mission. Rome doit rendre la foi visible au monde entier, elle doit être le lieu de la rencontre dans l'unique foi.

Mais pourquoi Pierre est-il allé à Rome? A ce propos, le Nouveau Testament ne se prononce pas de manière directe. Il nous donne cependant quelques indications. L'Evangile de saint Marc, que nous pouvons considérer un reflet de la prédication de saint Pierre, est profondément orienté vers le moment où le centurion romain, face à la mort en croix de Jésus Christ, dit: «Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu» (15, 39). Auprès de la Croix se révèle le mystère de Jésus Christ. Sous la Croix naît l'Eglise des nations: le centurion du peloton d'exécution romain reconnaît en Christ le Fils de Dieu. Les Actes des Apôtres décrivent comme étape décisive pour l'entrée de l'Evangile dans le monde des païens, l'épisode de Corneille, le centurion de la cohorte italique. Sur un commandement de Dieu, il envoie quelqu'un prendre Pierre et celui-ci, suivant lui aussi un ordre divin, se rend dans la maison du centurion et prêche. Alors qu'il parle, l'Esprit Saint descend sur la communauté domestique rassemblée et Pierre dit: «Pourrait-on refuser l'eau du baptême à ces gens qui ont reçu l'Esprit Saint tout comme nous?» (Ac 10, 47). Ainsi, dans le Concile des Apôtres, Pierre devient l'intercesseur pour l'Eglise des païens qui n'ont pas besoin de la Loi, car «Dieu a purifié leurs cœurs par la foi» (Ac 15, 9). En effet, dans la Lettre aux Galates Paul dit que Dieu a donné à Pierre la force pour le ministère apostolique parmi les circoncis; à Paul, il l'a en revanche donnée pour le ministère parmi les païens (2, 8). Mais cette assignation ne pouvait être valable que tant que Pierre restait avec les Douze à Jérusalem, dans l'espérance que tout Israël adhère au Christ. Face au développement ultérieur, les Douze reconnurent le moment où eux aussi devaient se mettre en marche vers le monde entier, pour lui annoncer l'Evangile. Pierre, qui selon l'ordre de Dieu avait le premier ouvert la porte aux païens, laisse à présent la présidence de l'Eglise chrétienne juive à Jacques le mineur, pour se consacrer à sa véritable mission: au ministère pour l'unité de l'unique Eglise de Dieu formée par des juifs et des païens. Le désir de saint Paul d'aller à Rome souligne - comme nous l'avons vu -, parmi les caractéristiques de l'Eglise, en particulier le terme «catholica». Le chemin de saint Pierre vers Rome, comme représentant des peuples du monde, est surtout soumis au mot «una»: sa tâche est de créer l'unité de la catholica, de l'Eglise formée de juifs et de païens, de l'Eglise de tous les peuples. Et telle est la mission permanente de Pierre: faire en sorte que l'Eglise ne s'identifie jamais avec une seule nation, avec une seule culture ou avec un seul Etat. Qu'elle soit toujours l'Eglise de tous. Qu'elle réunisse l'humanité au-delà de toute frontière et, au milieu des divisions de ce monde, qu'elle rende présente la paix de Dieu, la force réconciliatrice de son amour. Grâce à la technique qui est partout semblable, grâce au réseau mondial d'informations, ainsi que grâce à l'union d'intérêts communs, il existe aujourd'hui dans le monde de nouveaux modèles d'unité, qui font cependant aussi exploser de nouvelles oppositions et qui donnent une nouvelle impulsion aux anciennes. Face à cette unité externe, fondée sur les choses matérielles, nous avons d'autant plus besoin de l'unité intérieure, qui provient de la paix de Dieu - l'unité de tous ceux qui, à travers Jésus Christ, sont devenus frères et sœurs. Telle est la mission permanente de Pierre et également la tâche particulière confiée à l'Eglise de Rome.

Chers confrères dans l'épiscopat! Je voudrais à présent m'adresser à vous qui êtes venus à Rome pour recevoir le pallium comme symbole de votre dignité et de votre responsabilité d'archevêques dans l'Eglise de Jésus Christ. Le pallium a été tissé avec la laine de brebis, que l'Evêque de Rome bénit chaque année en la fête de la chaire de Pierre, les mettant, pour ainsi dire, de côté afin qu'elles deviennent un symbole pour le troupeau du Christ, que vous présidez. Lorsque nous plaçons le pallium sur nos épaules, ce geste nous rappelle le pasteur qui prend sur ses épaules la brebis égarée, qui toute seule ne retrouve plus le chemin de la maison, et la ramène à la bergerie. Les Pères de l'Eglise ont vu dans cette brebis l'image de toute l'humanité, de la nature humaine tout entière, qui s'est perdue et ne trouve plus le chemin de la maison. Le Pasteur qui la ramène chez elle ne peut être que le Logos, la Parole éternelle de Dieu lui-même. Dans l'incarnation, il nous a tous pris - la brebis «homme» - sur ses épaules. Lui, la Parole éternelle, le véritable pasteur de l'humanité, nous porte; dans son humanité, il porte chacun de nous sur ses épaules. Sur la voie de la Croix il nous a portés à la maison, il nous porte à la maison. Mais il veut également avoir des hommes qui «portent» avec Lui. Etre pasteur dans l'Eglise du Christ signifie participer à ce devoir, que le pallium rappelle. Lorsque nous le portons, Il nous demande: «Portes-tu avec moi aussi tous ceux qui m'appartiennent? Les portes-tu vers moi, vers Jésus Christ?». Et alors nous vient à l'esprit le récit de l'envoi de Pierre par le Ressuscité. Le Christ ressuscité rattache l'ordre: «Pais mes brebis» de manière indissoluble à la question: «M'aimes-tu, m'aimes-tu plus que ceux-ci?». Chaque fois que nous portons le pallium du pasteur du troupeau du Christ, nous devrions entendre cette question: «M'aimes-tu?» et nous devrions nous laisser interroger à propos du surplus d'amour qu'Il attend du pasteur.

Ainsi, le pallium devient le symbole de notre amour pour le pasteur Christ et de notre acte d'aimer avec Lui - il devient le symbole de l'appel à aimer les hommes comme Lui, avec Lui: ceux qui sont en quête, qui se posent des questions, ceux qui sont sûrs d'eux et les humbles, les simples et les grands; il devient le symbole de l'appel à les aimer tous avec la force du Christ, afin qu'ils puissent Le trouver et se trouver en Lui. Mais le pallium, que vous recevez «de la» tombe de saint Pierre, a aussi une deuxième signification, liée de manière indissoluble à la première. Pour la comprendre, une parole de la Première Lettre de saint Pierre peut nous aider. Dans son exhortation aux prêtres de paître le troupeau de manière juste, il - saint Pierre - se qualifie lui-même de synpresbýteros - co-presbytres (5, 1). Cette formule contient implicitement une affirmation du principe de la succession apostolique: les pasteurs qui se succèdent sont des pasteurs comme lui, ils le sont avec lui, ils appartiennent au ministère commun des pasteurs de l'Eglise de Jésus Christ, un ministère qui se poursuit avec eux. Mais cet «avec» possède encore deux significations. Il exprime également la réalité que nous indiquons aujourd'hui sous le terme de «collégialité» des évêques. Nous sommes tous co-presbytres. Aucun pasteur n'est seul. Nous ne nous trouvons dans la succession des apôtres que grâce au fait que nous sommes dans la communion du collège, dans lequel le collège des apôtres trouve sa continuation. La communion, le «nous» des pasteurs fait partie de l'être pasteurs, car le troupeau est un seul, l'unique Eglise de Jésus Christ. Enfin, ce «co-» renvoie également à la communion avec Pierre et avec son Successeur comme garantie de l'unité. Ainsi, le pallium nous parle de la catholicité de l'Eglise, de la communion universelle du pasteur et du troupeau. Et il nous renvoie à l'apostolicité: à la communion avec la foi des apôtres, sur laquelle l'Eglise est fondée. Il nous parle de l'ecclesia una, catholica, apostolica et naturellement, en nous liant au Christ, il nous parle précisément aussi du fait que l'Eglise est sancta et que notre œuvre est un service à sa sainteté.

Cela me fait encore revenir à saint Paul et à sa mission. Il a exprimé l'essentiel de sa mission, ainsi que la raison la plus profonde de son désir d'aller à Rome, dans le chapitre 15 de la Lettre aux Romains dans une phrase extraordinairement belle. Il sait qu'il est appelé «à être une officiant du Christ Jésus auprès des païens, ministre de l'Evangile de Dieu, afin que les païens deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l'Esprit Saint» (15, 16). Ce n'est que dans ce verset que Paul utilise le mot «hierourgein» - administrer en tant que ministre - avec «leitourgós» - officiant: il parle de la liturgie cosmique, où le monde des hommes doit devenir adoration de Dieu, offrande dans l'Esprit Saint. Lorsque le monde, dans son ensemble, sera devenu liturgie de Dieu, lorsque dans sa réalité il sera devenu adoration, alors il aura atteint son objectif, alors il sera sain et sauf. Tel est le but ultime de la mission apostolique de saint Paul et de notre mission. Le Seigneur nous appelle à ce ministère. Prions en cette heure, afin qu'Il nous aide à l'accomplir de manière juste, à devenir de véritables liturges de Jésus Christ. Amen.