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Il Primo Omicidio ovvero Caino

Publié le 28 janvier 2019 par Marcel & Simone @MarceletSimone

Première représentation à l’Opéra National de Paris.

« Il était clair pour moi que Caïn était l’innocent, la véritable proie capturée en un piège victimaire. Il destitue le sacrifice, il le rend stupide. » Le metteur en scène Romeo Castellucci n’y va pas par quatre chemins, c’est une interprétation tendre qu’il propose du mythe fondateur. Comprendre Caïn, l’excuser presque : la réelle victime n’est pas Abel. Quant à la musique d’Alessandro Scarlatti, c’est avec beaucoup de douceur et de fragilité qu’elle présente la violence du premier meurtre. Premier meurtre, première création de l’œuvre à l’Opéra de Paris. Toutes les attentes sont permises, que le spectateur soit fin connaisseur de la musique baroque ou simple curieux.

Avec peu de connaissances de ce style et encore moins de culture religieuse, c’est à la seconde catégorie que j’appartiens. Et si je m’étais donc renseignée avant de venir, une chose à laquelle je ne m’attendais pas était de voir un véritable orchestre baroque avec instruments anciens. Le B’Rock Orchestra, dirigé par le maître du genre René Jacobs, offre une expérience inattendue au spectateur. Des sonorités particulières et inédites, auxquelles nos oreilles de manants du XXIe siècle ne sont pas habituées, emplissent la salle. Le dialogue entre la musique et les chanteurs est incroyable de fragilité. Sur scène, aucun décor, seul un grand écran derrière lequel s’amorce un jeu de lumière alors qu’Adam entame la première partie.

© Bernd Uhlig / OnP

© Bernd Uhlig / OnP

Première partie dans laquelle l’absence de décor et le peu d’accessoires rappellent l’origine de cette œuvre d’Alessandro Scarlatti, qui n’est pas un opéra mais un oratorio. Sobriété de la dramaturgie également. Les interprètes bougent peu et s’arrêtent dans de nombreuses « poses » qui évoquent des tableaux représentant le mythe, et tout particulièrement celui de William Blake, Adam et Ève trouvant le corps d’Abel.

William Blake, Adam et Ève trouvant le corps d’Abel, Tate Britain

William Blake, Adam et Ève trouvant le corps d’Abel, Tate Britain

Lorsque Caïn se fige, la tête entre les mains, on ne peut pas ne pas y penser, même si parfois leurs postures exagérées vont jusqu'à en rappeler d’autres, plus contemporaines, comme ce que les jeunes d’aujourd’hui appellent le « dab ». Dans cette première partie, la mise en scène est surtout portée par le jeu de lumière qui représente tantôt la porte du paradis et « l’épée foudroyante » qui a banni Adam et Ève du ciel, tantôt les personnages par des couleurs ; éclairage qui finit par reprendre en rythme la voix de Dieu. Le tout dans une fluidité qui contraste magnifiquement avec la rigidité des interprètes.

Mais l’apparition d’une silhouette masculine représentant Dieu dans un halo de lumière bleutée frôle le kitsch et s’apparente plus au réalisme socialiste du bloc de l’est, détournant l’attention du spectateur par son grandiose ridicule.

Apparition du décor dans la deuxième partie. Nous sommes dans le champ de Caïn, alors que la voix de Lucifer le convainc de tuer Abel. L’interprétation de la voix de Lucifer par Robert Gleadow est magnifique, à la fois inquiétante et frôlant le grotesque. Une fois son pep talk terminé, il repart bras dessus, bras dessous avec la voix de Dieu. Preuve, une fois de plus, de la responsabilité de Dieu dans ce premier meurtre.

© Bernd Uhlig / OnP

© Bernd Uhlig / OnP

Caïn tue Abel et des enfants prennent la place des interprètes sur scène, alors que ceux-ci descendent chanter dans l’orchestre. Romeo Castellucci explique ce choix par une « régression »,  un retour à l’enfance de Caïn : « On est face à l’inconscience de Caïn à travers une transformation puérile. » Une fois de plus, le metteur en scène souhaite « dissoudre le crime originel » et « libérer Caïn de sa faute » en mettant en avant la vanité et la puérilité de ce jeu. Malheureusement le résultat est bien souvent raté, les enfants bougent les lèvres comme dans un mauvais doublage. Bien que l’attention du spectateur soit habilement dirigée vers l’orchestre où se trouvent les chanteurs et ainsi recentrée sur le cœur de l’œuvre, l’effet est décevant voire dérangeant.

À la fin de l’opéra, tonnerre d’applaudissements et l’orchestre est lui aussi invité à monter sur scène. L’émotion est à son comble. Quel bonheur de voir tous ces instruments et que, pour une fois, l’orchestre soit acclamé au même titre que les interprètes !

Entre émerveillement et déception, cet opéra ne laisse pas indifférent. Allez-y car dans tous les cas on ne s’y ennuie pas. Dernier conseil, gardez un œil sur le balcon de gauche, il s’y passe des choses étonnantes !

À l’Opéra Garnier jusqu’au 23 février, il reste des places à partir de 140 euros.


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